Il y avait longtemps que Michel Raskine n’avait pas foulé un plateau de théâtre en tant qu’interprète. C’est désormais chose faite avec sa dernière création, La Chambre rouge (fantaisie), dans laquelle il se met en scène sur un texte de Marie Dilasser. Le binôme n’a rien de surprenant, l’autrice et le metteur en scène ont déjà travaillé main dans la main à plusieurs reprises. Mais pour cette nouvelle expérience, c’est à une pièce de l’intime que le duo convie le public, dans un simulacre de huis-clos qui ne cesse de regarder ailleurs, à la charnière de deux époques qui peinent à composer ensemble.
Il est libre, Moi
Moi (Michel Raskine, en l’occurrence) a pris la décision de s’extraire du monde et de disparaître du jour au lendemain, prenant à peine le temps de prévenir ses proches et amis de ne pas chercher à le retrouver. En exil choisi dans cette chambre, rouge comme celle de son enfance, il est venu chercher la tranquillité d’esprit, espérant peut-être se laisser l’espace d’imaginer un nouveau monde, en tout cas un monde qui lui convient et dans lequel évoluer. Mais en dépit des porte et fenêtre closes censées lui assurer la paix, ce qu’il a laissé dehors finit pourtant par se faufiler à l’intérieur pour tout perturber. Ainsi La Chambre rouge prend-elle effectivement peu à peu la forme d’une fantaisie, celle d’un homme qui préférerait la solitude mais qui est incapable de se passer de la compagnie des autres.
L’avantage de la fantaisie, c’est précisément ce qu’elle permet : tout. Ce n’est pas pour rien si Michel Raskine apparaît d’abord derrière un micro, le visage fortement éclairé version cabaret, debout devant un fond peint à l’allure d’un rideau rouge. Pour l’heure qui vient, l’espace sera dédié à la liberté, celle qui s’exprime sans règle ni contrainte hormis le cadre qui est le sien : un plateau de théâtre. Dans ce lieu d’émancipation, l’artiste se souvient de quelques bribes – vécues ou rêvées ? – de son récit personnel. Au fil de son introspection, il convoque à ses côtés des inconnus sur lesquels il projette quelques fantômes de son histoire et se confronte à un monde qui lui est toujours plus étranger. “Moi” n’aura jamais été aussi vieux que depuis qu’il ne comprend plus la société qui l’entoure, alors il fantasme une nouvelle réalité, quitte à régresser.
Retour vers le présent
Dans ses divagations, Michel Raskine voudrait prôner la légèreté, l’insouciance et la décomplexion. À partir du texte de Marie Dilasser, qui s’amuse avec infantilisme de déclinaisons, analogies, jeux de mots et expressions en tous genres, le metteur en scène développe un univers qui se teinte d’une certaine nostalgie et prend la forme d’un retour en enfance. Pourtant, dans sa mémoire de vieux, subsistent encore tous ses souvenirs d’adulte, comme ses relations amoureuses, sexuelles ou platoniques qui continuent de le hanter. Dans sa parole, celles-ci s’affirment crûment et jouent dangereusement avec l’apparente innocence qui voudrait aussi s’exprimer dans cette chambre rouge. Écho de son passé où apparaît encore le spectre d’une mère, cet espace, qui devait tout rendre possible, rencontre finalement ses propres limites.
Venu chercher la solitude sans vraiment la désirer, Moi semble surtout faire part de ses regrets tournés vers une époque révolue et à partir de laquelle tout est devenu flou. Dans La Chambre rouge, la fantaisie flotte dans un entre-deux permanent. Dans le texte comme dans la mise en scène ou l’interprétation, elle hésite entre deux approches, entre deux âges, entre deux époques. Au milieu de ces incertitudes persistent malgré tout quelques instants de poésie, celle que racontent les regards, les gestes, les corps et qui ne s’embarrassent plus des mots, quelques parenthèses qui ouvrent, envers et contre tout, à la délicatesse et au sensible.
Peter Avondo – envoyé spécial à Lyon
La Chambre rouge (fantaisie) de Marie Dilasser et Michel Raskine
Les Célestins, Théâtre de Lyon
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon
Du 18 au 29 septembre 2024
Durée 1h15
Tournée
Les 10 et 11 octobre 2024 au Bateau Feu – Scène nationale Dunkerque
mise en scène de Michel Raskine
avec Antoine Besson, Hugo Hagen, Michel Raskine et Marief Guittier (voix)
décor de Stéphanie Mathieu
lumière et régie générale de Julien Louisgrand
son de Sylvestre Mercier
danses de Denis Plassard
construction de Pascal Nougier
peinture d’Amandine Fonfrède et Stéphanie Mathieu (merci aux ateliers du Théâtre National Populaire)
aide aux costumes – Bruno Torres et Florian Emma (atelier des Célestins, Théâtre de Lyon)
stagiaire – Karl Picard