Après deux ans de travaux pour que le bâtiment « retrouve son lustre », Nathalie Lucas et Serge Paumier sont fiers d’ouvrir les portes du Théâtre des Gémeaux parisiens, situé 15 rue du Retrait dans le vingtième arrondissement, à l’emplacement de l’ancien Théâtre de Ménilmontant. Une ancienne salle paroissiale qui a eu ses grandes heures de gloire dans les années 1950, avec la compagnie de Guy Retoré, qui quelques années plus tard allait ouvrir, à quelques mètres de là, le Théâtre de l’Est Parisien (aujourd’hui repris par le Théâtre ouvert). Par la qualité et la diversité de leur programmation, les deux directeurs souhaitent que leur théâtre devienne « la scène de l’Est la plus à l’ouest ! ».
Comment vous est venue l’envie de diriger ensemble un théâtre ?
Serge Paumier : Ensemble, c’était évident car nous sommes en couple. Les choses ont commencé lors de nos discussions, quand Nathalie jouait dans une pièce que je produisais, Les hommes de Charlotte Delbo, à l’Épée de bois. Je lui ai proposé d’ouvrir un petit théâtre à Paris. Elle a tout de suite refusé, car elle craignait parce que l’on soit enfermé dans un lieu ! Puis, le temps passant, on s’est dit : pourquoi pas Avignon. Après tout, le festival ne dure qu’un mois par an et, même si on vivait à Paris, tout compte fait, nous pouvions consacrer trois mois de travail autour d’Avignon et du théâtre.
Nathalie Lucas : En tant que comédienne, j’ai joué dans de nombreux lieux où l’accueil était toujours un peu délicat. Quelque part, j’avais envie de créer quelque chose. Il me semble qu’au lieu de critiquer, il vaut mieux le faire soi-même, mettre les mains dans le cambouis et être sur le terrain. J’ai vu beaucoup de spectacles qui étaient extraordinaires. Souvent, je me suis demandé pourquoi ces spectacles-là ne trouvaient pas forcément leur espace et leur place. C’était une manière de mettre mon expérience, au service du théâtre. Je ne suis pas surhumaine mais parfois je pressens quel type de spectacle peut trouver son public.
Et en 2019, vous ouvrez à Avignon, votre théâtre, dans ce lieu magnifique que vous avez déniché comment ?
Nathalie Lucas : On peut dire que ça a été un coup de foudre ! C’est un lieu historique de la fin du XIIIᵉ siècle, qui était déjà coupé en deux. Il y a une architecture historique forte, très marquée. On a eu l’autorisation de construire deux salles de spectacle, une de 190 et une de 176 places. On a eu la chance que le public adhère et s’embarque avec nous pour voir les pièces qu’on leur a proposés. C’était pour nous extraordinaire.
Pourquoi lui avoir donné le nom de Gémeaux ?
Nathalie Lucas : On est tous les deux Gémeaux, mais aussi, le théâtre possédait deux salles de spectacle, l’une sur l’autre, similaires en termes de taille de scène : c’était une sorte de petit jeu entre nous et puis il fallait bien trouver un nom. Cela faisait sens.
Et du coup lorsque vous reprenez le Ménilmontant, vous gardez l’appellation Théâtre des Gémeaux en lui accolant l’attribut « parisien« …
Nathalie Lucas : Cela coulait de source. La chose étonnante est que là aussi, il y a une chapelle, pas de la même période, puisque celle-ci a cent ans ! On a hésité à l’appeler Théâtre des Gémeaux de Ménilmontant. Ce qui finalement le réduisait au quartier. En lui donnant le nom de Théâtre des Gémeaux Parisiens, on l’ouvrait sur la ville.
À Avignon, votre théâtre a très vite trouvé sa place, comment l’expliqueriez-vous ?
Nathalie Lucas : C’est toujours un peu difficile à expliquer. Je pense qu’il y a trois raisons. La première est qu’il est central, la deuxième qu’il y a une vraie architecture et la troisième est que l’on travaille beaucoup. Nous faisons tout pour soigner l’accueil des artistes et l’accueil du public. On essaie d’humaniser, même si c’est très difficile lorsque l’on a 40000 spectateurs qui arrivent en vingt ou vingt-et-un jours. C’est presque une gageure. Toute notre équipe est amenée à échanger humainement avec le public et les compagnies. C’est pour cela que les personnes qui travaillent avec nous, dans la mesure de l’intermittence, restent les mêmes chaque années.
Serge Paumier : Ce qui me plaît aussi, dans le théâtre, ce sont les rencontres. Pour moi, un directeur doit être présent. Or, c’est de moins en moins le cas. Quand vous allez au Théâtre du Soleil, vous pouvez voir Ariane Mnouchkine déchirer les tickets ! Diriger un théâtre, ça se transforme vite en sacerdoce. C’est-à-dire qu’il faut être présent tout le temps. Évidemment, ce n’est pas possible sept jours sur sept. Car il faut aller voir des spectacles, logiquement, au moins une fois par semaine. Ces jours d’absence, Sandy Masson, comédienne et autrice, nous « remplacera ». Le travail d’un directeur est d’apporter un supplément d’âme. Pour cela il faut être présent, rencontrer le public, parler avec eux, les connaître, savoir comment ils reçoivent aussi le spectacle.
Comment avez-vous réussi à mettre en place cette programmation que l’on peut considérer comme éclectique ?
Serge Paumier : Parce qu’on a refusé d’avoir des « chapelles ». C’est-à-dire, nous avons choisi de travailler avec des esprits et des compétences très différentes ! Nous travaillons avec tout le monde. Mais avant toute chose, il faut, bien sûr, que le projet nous plaise.
Nathalie Lucas : C’est aussi une histoire de taille de scène. On ne pense pas en terme de concurrence. Il faut que les spectacles trouvent une boîte à la taille de leur spectacle, tout simplement.
À quel moment vous vous êtes dit « pourquoi pas Paris » ?
Nathalie Lucas : Au début, j’avais dit non pour ça !
Serge Paumier : Notre ami Éric Logerias, qui donnait des cours d’élocution aux curés, à qui ce lieu appartenait, nous a parlé du théâtre et nous a mis en contact. Depuis sa fermeture en 2018, ils cherchaient vraiment des repreneurs. On a pris le temps de le visiter, de réfléchir et de discuter. Savez-vous que dans le neuvième arrondissement, il y a vingt-trois théâtres pour 50000 habitants, et dans le vingtième, trois théâtres pour 200000 habitants ?
Nathalie Lucas : Et pas des moindres : La Colline, les Plateaux sauvages et le Théâtre ouvert !
Serge Paumier : Les Gémeaux Parisiens sera le seul privé du 20e. Dans le 9e, ils le sont presque tous.
Vous ouvrez avec une programmation qui a une couleur « avignonnesque »…
Serge Paumier : On a eu une discussion avec Arthur Jugnot qui a commencé à Avignon avec ses Béliers, qu’il a ensuite ramené à Paris. Ce qui était déjà gonflé à l’époque. Le fait qu’un spectacle marche à Avignon, n’est pas toujours une évidence pour qu’il fonctionne à Paris.
Le Off est aussi devenu, depuis quelques années, une vitrine du théâtre Parisien, donc il y a une logique à votre programmation…
Serge Paumier : Le petit coiffeur de Jean-Philippe Daguerre, par exemple, marche depuis plusieurs années merveilleusement à Avignon. Les réactions des spectateurs sont extraordinaires.
Nathalie Lucas : C’est pareil pour Formica. La réaction des spectateurs, c’est juste incroyable. Il faut entendre le public débattre à la sortie ! Le Choix des âmes, qui a rencontré en province un succès extraordinaire, n’avait pas encore eu la chance de venir à Paris.
En regardant la programmation, on remarque la variété des propositions…
Nathalie Lucas : On a pris notre modèle à Avignon, où l’on accueille des reprises de spectacle qui ont rencontré le succès, soit chez nous ou dans d’autres salles. Ces derniers viennent chez nous parce qu’ils ont besoin et souvent aussi la possibilité de grandir. Ce qui fut le cas pour Heureux les Orphelins, qui a fait un carton cet été. Le reste de la programmation est composé de créations. Là, on ne sait pas toujours où on va, mais on fait confiance à des metteurs en scène qui savent défendre des projets comme Daniel et William Mesguich [Le Souper, Pascal et Descartes, que l’on retrouve à Paris], Christophe Lidon [Agathe Royale, L’ami du Président, Brexit], Stéphane Cottin. Quand ce dernier nous a parlé de son projet, Belles de scène, on n’a pas hésité à le prendre et ça a fait un carton à Avignon. Je souhaite qu’il en fasse un également à Paris.
Donc nous aurons aussi des créations, comme Le père Goriot adapté et mis en scène par David Goldzahl. Et bien sûr du jeune public avec, Histoires comme ça de Kipling. Nous avons aussi un plateau suffisamment important pour pouvoir se permettre d’accueillir une palette de comédiens et d’avoir des décors de qualité. C’est pour ça qu’on aime travailler avec Philippe Calvario qui viendra en janvier avec Les caprices de Marianne. Il y a une vraie notion de création commune. Nous avons aussi, et cela nous tient à cœur, le désir d’accueillir des projets portés par de metteuses en scène. Car il y a très peu de femmes soutenues dans ce métier.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Théâtre des Gémeaux Parisiens
15 rue du Retrait
75020 Paris
Programmation d’ouverture de saison
10 septembre au 1er décembre 2024 : Le Petit Coiffeur
20 septembre au 12 décembre 2024 : Formica
21 septembre au 15 décembre 2024 : Le choix des âmes
23 septembre au 31 décembre 2024 : Le Père Goriot
24 septembre au 17 décembre 2024 : Pascal et Descartes
30 septembre au 30 décembre 2024 : Le souper
5 octobre 2024 au 5 janvier 2025 : Histoires comme ça
4 décembre 2024 au 16 mars 2025 : Belles de scène