L’image est saisissante : un parallélépipède transparent posé comme un vaisseau spatial devant l’imposante basilique Saint-Denis. Légèrement ballotté par les courants d’air, il gît là, irisé par intermittence de spots latéraux. Dans un dispositif tri-frontal, le public s’installe face à la structure gonflable vide. Dentro (littéralement « à l’intérieur ») de Melisa Zulberti est présenté en plein air en ouverture de la fête de Saint-Denis. Les enfants, nombreux, observent avec curiosité ce pavé en PVC qui évoque les water balls de fête foraine.
Essaim vibrionnant
L’un après l’autre, les danseurs pénètrent dans cette bulle et commencent à se mouvoir imperceptiblement. Comme s’ils apprivoisaient l’espace, tentaient mentalement d’en délimiter les contours, cherchaient leur place. Confinés dans cet écrin de plastique, exposés à des limites spatiales et corporelles, le quintet se transforme petit à petit en essaim vibrionnant, traversé de gestes répétitifs de plus en plus soutenus. À l’extérieur, une musique électrique jouée en live accompagne leur expérience.
Soudain, la structure s’emplit d’une fumée qui brouille le regard, fait disparaître les danseurs qui émergent par moments. Un visage, une main… La danse se fait acte de résistance. Résister à la pression à la fois extérieure et intérieure. S’acclimater au manque d’air, à la promiscuité, à la chaleur. Accepter la transformation de son état physique qui modèle différemment la chorégraphie. Une lenteur mesurée laisse la place à une surprenante vélocité.
Certains tentent une échappée, rattrapés ensuite par le collectif. La géographie qui se dessine sous nos yeux est celle d’un espace traversé d’individus composant avec les contraintes pour en faire jaillir une énergie nouvelle. On peut y lire une métaphore de l’avenir de l’humanité face aux changements environnementaux et climatiques.
Une artiste argentine à suivre
Progressivement, les danseurs quittent la bulle, ne laissant qu’une des leurs esseulée dans cet espace désormais trop grand pour elle. Il faut prendre de nouveaux repères, dompter cette solitude. Mais une des danseuses revient chercher celle restée à l’intérieur. Elles se jaugent puis amorcent un duo final centré autour d’un long et lent baiser de part et d’autre de la barrière de plastique.
Installation performative, Dentro permet de faire connaissance avec l’univers de cette artiste argentine quasi inconnue en France. Créée au Brésil en 2018, Dentro continue d’être remontée avec des distributions différentes. En l’occurrence, cinq interprètes castés en région parisienne qui se coulent dans l’exigence de la proposition.
On se plaît à espérer que Melisa Zulberti continue de montrer son travail en Europe. Son dernier projet, Posguerra, présenté en juillet à la Biennale de danse de Venise à l’invitation du chorégraphe Wayne McGregor, a été, paraît-il, très remarqué.
Claudine Colozzi
Dentro de Melisa Zulberti
Fête de Saint-Denis
Place Victor-Hugo, 93200 Saint-Denis
Les 13 et 14 septembre 2024
Durée 45 min.
Création Melisa Zulberti
Production Roni Isola
Assistanat à la production Sofía Fernández
Musique Julián Tenembaum
Avec Nefeli Asteriou, Malick Cissé, Manon Falgoux, Cassandre Moun, Alexandre Nadra Yazigi.