"Molière et ses masques" de Simon Falguières © XavierTesson
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Au Moulin de l’Hydre, Molière et ses masques dans le miroir de Simon Falguières

Au Festival du Moulin de l'Hydre, dans l'Orne, Simon Falguières dévoile une pièce sur la vie de l'auteur de L'Avare, une pierre de plus à l'édifice de son théâtre romantique et utopique.

Un lieu tout jeune dans de vieilles fondations : voilà le Moulin de l’Hydre, investi en 2021 par la Compagnie le K de Simon Falguières sur les fondations d’une ancienne filature datant de l’époque où la petite ville de Saint-Pierre d’Entremont vivait de ses usines. Pour la deuxième édition de son festival, cette fabrique de théâtre ouvrait grand ses portes aux spectateurs venus braver le froid et la pluie, devant une programmation de pièces d’artistes issus de la galaxie (Mathias Zakhar) ou d’invités (la Cie Nevoa, Eva Rami ou Mélina Despretz). Très attendu parmi ce programme, Simon Falguières montrait Molière et ses masques, sa première excursion dans la biographie d’un artiste, et pas des moindres.

Faire théâtre de la vie de Molière au théâtre est un tel lieu commun que cette observation est elle-même un marronnier de critique, encore plus après avoir fêté il y a deux ans le quadricentenaire de la naissance du dramaturge le plus connu de France. Mais n’y a-t-il pas effectivement dans cette biographie surinvestie, un fabuleux terrain d’expérimentation pour de jeunes auteurs et metteurs en scène ? Rocambolesque et romantique, la vie de l’auteur des Précieuses ridicules, à force d’être projetée dans les regards très différents de metteurs en scène dont on peut citer, parmi les derniers en date, Julie Deliquet, Louise Vignaud et Johana Giacardi, devient presque un exercice de style.

"Molière et ses masques" de Simon Falguières © bureau nomade
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Mais les lieux communs, Simon Falguières sait bien s’en emparer. Des histoires de rois, de princesses et de fantômes du Nid de Cendres et du Rameau d’Or aux récits de filiation et de voyage de Morphé et du Cœur de la terre, son théâtre se porte volontiers sur des motifs archétypaux, comme des grandes structures à l’intérieur desquelles l’écriture et la mise en scène font la différence. Mais Molière est une forme autrement plus légère que les pièces précédentes, une forme réellement pensée pour l’itinérance, avec seuls deux rideaux blancs pour décor, et les costumes ultra-cohérents de Lucile Charvet pour l’étoffer.

Les parallèles se font tout seuls : Molière ressuscité en même temps que le rêve d’un théâtre de tréteaux ouvert au plus grand nombre, dans une fabrique théâtrale construite à mains nues par une bande d’artistes passionnés. Ici, c’est sous les traits d’Anne Duverneuil que l’auteur revit, entouré de ses « masques », c’est-à-dire ses personnages. La mise en abyme de l’art dramatique, employée régulièrement dans les pièces de Falguières, donne ici lieu à un dialogue comique entre l’auteur et ses personnages, notamment ceux de L’Étourdi. Il suffit de quelques cagoules sur la tête et de deux rideaux pour séparer un monde de l’autre ; du reste, le metteur en scène et auteur joue des similitudes entre l’univers des farces de Molière et celui de la cour, réfractant l’œuvre et la vie dans un même mode théâtral dicté par la légèreté du dispositif et l’hédonisme dans le jeu. Baladé entre ses mondes fictifs et son entourage réel, Molière apparaît comme une figure romantique, dans un décalage comique avec un monde ridicule.

Du reste, le savoir-faire confirmé de la troupe fait globalement mouche : les comédiens y mettent du cœur (restent à citer Antonin Chalon, Louis de Villers, Victoire Goupil, Manon Rey et le désopilant Charly Fournier), les gags viennent chatouiller les gradins, les jalons de la vie du créateur de l’Illustre Théâtre sont posés en accéléré sans qu’on s’y attarde de trop. Le système tourne tellement bien qu’on aimerait, parfois, un brin de mise en danger, un peu de renouveau dans l’écriture — mais le théâtre défendu par Falguières, qui ne vient pas sans quelques angles morts politiques, ne fait pas dans l’autoproblématisation. On s’enthousiasme alors d’autant plus devant les sorties de route et les digressions, notamment lorsqu’apparaît Anne d’Autriche, convoquée par une captivante Manon Rey dans un véritable moment suspendu. La pluie s’est d’ailleurs mise à tomber au beau milieu du monologue et a fait s’arrêter la représentation le temps que les nuages s’écartent : au Moulin de l’Hydre, les aléas sont parfois porteurs d’une certaine beauté.


Molière et ses masques de Simon Falguières
Festival du Moulin de l’Hydre
660 Chemin du Vieux Saint-Pierre, 61800 Saint-Pierre d’Entremont
Le 7 septembre 2024
Durée 1h20

Tournée
Représentations en itinérance autour du Moulin de l’Hydre :
Domfront le 13 septembre 2024, Saint-Pierre d’Entremont le 15 septembre
Représentations en itinérance autour de Transversales Scène Conventionnée de Verdun :
Hanonville le 25 septembre, Stenay le 26 septembre, Verdun le 27 septembre, Drompcevrin le 28 septembre
Représentations en itinérance entre le Moulin de l’Hydre et la Comédie de Caen printemps 2025

Texte, mise en scène, scénographie Simon Falguières
Construction des tréteaux : Le Moulin de L’Hydre (Alice Delarue, Léandre Gans)
Création des musiques Simon Falguières, Manon Rey, Antonin Chalon, Charly Fournier
Création costumes Lucile Charvet
Avec Antonin Chalon, Louis de Villers, Anne Duverneuil, Charly Fournier, Victoire Goupil, Manon Rey

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