Comment est né le Festival Imago ?
Richard Leteurtre : Le festival est né de la rencontre entre deux structures. En 2013, j’ai été nommé à la direction du théâtre Eurydice, situé à Plaisir dans les Yvelines. Olivier Couder dirige le Théâtre de Cristal, à Éragny dans le Val-d’Oise. On s’est rencontrés en 2015, lorsque j’ai pris la direction du Festival Orphée. Ce festival avait été créé par mon prédécesseur en 2004, pour l’année européenne du Handicap. Olivier, de son côté, organisait aussi un festival qui s’appelait Viva la vida. Nous partagions les mêmes valeurs et les mêmes objectifs dans deux départements situés côte à côte : nous avons donc décidé de fusionner. Parce qu’ensemble on sera plus forts !
Avec des envies bien précise…
Richard Leteurtre : Celles de permettre aux artistes en situation de handicap d’avoir une visibilité et d’avoir les moyens de leur création. C’est-à-dire obtenir des cachets, vendre leurs spectacles, etc. C’est ça l’idée principale.
Donc vous avez imaginé le Festival IMAGO ?
Richard Leteurtre : On a créé une première édition un peu expérimentale en 2016, Orphée & Viva la vida. En même temps, on a créé ensemble un spectacle, Les Missions d’un mendiant, qui a été joué à l’Étoile du Nord. Fort de cette expérience réussie, nous avons créé le Festival IMAGO. Nous avions l’intuition qu’il y avait quelque chose à développer fortement de ce côté-là.
Qu’est-ce qu’un artiste en situation de handicap ?
Richard Leteurtre : C’est tellement multifactoriel ! C’est un peu comme pour les Paralympiques. Ce sont des personnes obligées de compenser dans la vie courante mais aussi dans le sport et dans les métiers artistiques. Il y a le handicap visible et l’invisible — c’est-à-dire psychique. Le handicap, cela peut être de naissance, par accident ou par maladie… Cela n’est pas la même chose, la même histoire ! Je pense à Bruno Netter, ce grand comédien devenu aveugle qui a trouvé une autre façon d’exprimer son art. Il y a aussi des amateurs de théâtre, des « fous de théâtre » en handicap psychique, par exemple, qui souvent, grâce aux ateliers, ont trouvé une raison de vivre. À ce moment-là, ils vont chercher par tous les moyens à le pratiquer. Souvent, cela passera par des ESAT (établissements ou services d’aide par le travail) artistiques et culturels, comme le théâtre Eurydice, ou des compagnies inclusives…
Vous avez aussi à cœur de montrer une véritable esthétique…
Richard Leteurtre : À travers tous ces exemples d’artistes en situation de handicap, nous montrons une évolution esthétique des scènes. Prenons l’exemple de la langue des signes. Qui a inventé ce qui se passe sur un plateau avec la langue des signes, si ce n’est les sourds ? Il n’y a personne d’autre pour chorégraphier le langage de cette manière ! Il y a un véritable mouvement pour faire, comme nous le nommons à IMAGO, « bouger les esthétiques ». On a de plus en plus de compagnies, de plus en plus de formes hybrides, qui viennent vers nous et l’on voit bien que cela vient interroger la question esthétique. Dans le processus d’artification, c’est super important ! Car il n’est plus question de faire de la place aux handicapés à un moment donné dans sa programmation, et ensuite de fermer la parenthèse. Aujourd’hui, on s’ouvre à des esthétiques nouvelles comme on s’est ouvert aux marionnettes ou au nouveau cirque… Et ça, c’est très important.
Comment construisez-vous votre programmation ?
Richard Leteurtre : Comme nous avons acquis une forme de reconnaissance, nous recevons de plus en plus en plus de propositions. On peut aussi voir certains spectacles en amont, à Avignon ou à l’étranger — en Belgique, en Allemagne… Il y a aussi les compagnies que l’on connaît, et bien sûr les ESAT artistiques. On s’est créé une banque de données composée d’artistes ou de structures qui travaillent dans ce sens-là. Pour les années impaires, quand il n’y a pas de festival, on a imaginé les plateaux IMAGO. Ce sont des appels d’offres : si vous avez un projet de création, venez en parler, venez nous présenter un extrait, venez rencontrer des professionnels. Ça marche bien. En 2023, c’était aux Lilas, au théâtre du Garde-chasse. Dans ces productions, quelques-unes ont émergé dans l’édition 2024.
De 2016 à maintenant, on est passé à moins de vingt spectacles à quarante-quatre propositions dispatchées dans tous les départements de l’Île-de-France. On commence à avoir des artistes en situation de handicap qui eux-mêmes portent les projets. Comme Alice Davazoglou, qui est une danseuse trisomique qui a créé sa compagnie. Elle a rassemblé autour d’elle une dizaine de chorégraphes éminents qui ont accepté de travailler avec elle. Je pense aussi à Magali Saby et Sylvère Lamotte. On monte des marches petit à petit. Cette année, Marc Jeancourt de l’Azimut nous rejoint, avec un spectacle phare, Hamlet de la Cie péruvienne Teatro La Plaza.
C’est la cinquième édition, et cela fait dix ans que vous existez. Avez-vous vu évoluer le regard des autres sur le handicap ?
Richard Leteurtre : C’est ce qui se dit avec les paralympiques. Avant, quand on en parlait, on mettait en avant le handicap. Maintenant, on n’entend presque plus parler du handicap, mais de médaille d’or, des performances des uns, des autres… Quand on veut être optimiste, on se rend compte qu’il y a une certaine évolution. Reconnaître les performances des athlètes en situation de handicap, c’est le même discours que le nôtre, qui est de reconnaître les artistes en situation de handicap pour leur qualité artistique. Nous espérons que cette dynamique se prolongera au-delà des jeux !
On a le sentiment que des choses changent, que ça va bouger !
Richard Leteurtre : Il y a un regard qui évolue. On s’en rend compte avec le cinéma ! Le Théâtre du Cristal a créé une agence pour recruter des artistes en situation de handicap pour le cinéma. Ça marche plutôt pas mal. La moitié des comédiens du film Un p’tit truc en plus viennent de là. Dans ce film, on voit bien que ces comédiens interprètent, jouent quelque chose. C’est drôle, mais on ne se moque pas d’eux. Ce ne sont plus des curiosités ou des freaks.
Ça évolue et on marque des points à chaque fois. On le voit bien par rapport à la cérémonie d’ouverture des paralympiques avec des danseurs en fauteuil. Comme pour Londres, ça a créé un mouvement d’émancipation. Cela valorise les personnes en situation de handicap qui, du coup, osent se lancer, se montrer. Il y a aussi la question des familles, qui sont souvent dans une forme de culpabilité et dans une difficulté à exister par rapport à l’ensemble de la société. Je pense à Emma Pasquer et Ma fille ne joue pas, qui parle de son frère autiste. Elle a quasiment créé sa compagnie, Les EduLs, sur cette dynamique-là. On a aussi programmé Darius de Jean-Benoît Patricot et Dans la peau de Cyrano de Nicolas Devort, deux pièces qui abordent le handicap.
Cette année, vous vous agrandissez ne poursuivant l’aventure en novembre avec une édition bordelaise…
Richard Leteurtre : Une aventure que l’on démarre avec un spectacle de l’IVT, Tellement Sympa ! de Jennifer Lesage-David. Quand Yoann Lavabre, l’ancien directeur de La Ferme de Bel Ébat – Théâtre de Guyancourt, qui était très engagé dans le festival, est parti diriger le Glob théâtre de Bordeaux, il nous a demandé de travailler avec nous. L’objectif est d’étendre nos actions en Nouvelle-Aquitaine et dans d’autres régions. Il y a cinq spectacles, plus une table ronde.
Et en décembre, vous finissez avec l’IVT ?
Richard Leteurtre : C’est un beau lieu, situé à Paris, avec lequel on collabore depuis 2016, même s’ils étaient un peu hésitants au début. Car pour la communauté sourde, ce n’est pas un handicap mais une culture. Mais en même temps, elle souffre aussi d’ostracisme. Emmanuelle Laborit a compris que nous défendions vraiment l’art et l’esthétique. Cette année on va se dire qu’on peut passer du Régional au National, parce qu’IMAGO est le seul festival qui a cette envergure-là, cette ampleur-là.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
5e édition du Festival IMAGO
Du 7 septembre au 21 décembre 2024