Un metteur en scène, deux comédiens, de multiples possibilités. Plongeant avec une passion exquise dans l’histoire du théâtre, Xavier Lemaire nous invite à une réflexion tout aussi drôle que fine sur son métier et sur son essence. Avec malice savoureuse, il décrypte pour nous les différents courants qui agitent le spectacle vivant, brocardant au passage les postures les plus extrêmes. Un délice.
Le spectacle commence bien avant que l’obscurité gagne la salle. Pendant que le public s’installe, discute, deux hurluberlus, deux clowns, deux bricoleurs du dimanche font des pantomimes, des simagrées, des minauderies sur scène. Déclenchant quelques salves de rires, il capte notre attention, tout en installant imperceptiblement le décor de la pièce à venir. Puis, le noir se fait, une silhouette impressionnante apparaît. C’est Xavier Lemaire.
Cet homme de théâtre, directeur de la compagnie Les Larrons, a décidé, pour cette nouvelle création, d’aborder l’art délicat de la mise en scène et de nous faire partager son regard curieux, caustique et intelligent sur le spectacle vivant d’hier et d’aujourd’hui. Campant une sorte de professeur loufdingue, il se lance dans une conférence un brin sentencieuse et didactique, qui tourne rapidement à la bouffonnerie. Derrière lui, s’agitent deux régisseurs de plateau (inénarrable Isabelle Andréani et impayable Frank Jouglas) particulièrement empotés et bas de plafond, qui l’empêche de poursuivre sereinement sa leçon, de garder sérieux et prestance.
À marche forcée, Xavier Lemaire continue pourtant sa réflexion sur le métier d’artiste. Afin d’étayer ses propos, il propose de monter, de trois façons différentes, la première scène du premier acte du Médecin malgré lui de Molière. Passant du classique stylisé au symbolisme, s’en oublier le contemporain réaliste, il démontre à quel point le regard du metteur en scène peut changer le sens d’une pièce, peut dérouter le spectateur ou en politiser le propos, tout en brocardant avec facétie le zèle extrémiste de certains de ses confrères.
Pour se plier à cet exercice de style particulièrement vertigineux, il fallait deux acteurs virtuoses capables en un clin d’œil de passer d’un registre à l’autre. Xavier Lemaire ne pouvait trouver mieux que la pétillante Isabelle Andréani et le charismatique Franck Jouglas. Drôle, volubile, lumineuse, la comédienne irradie littéralement la scène. Tour à tour mégère, SDF ivrogne et caissière « cagole », elle nous entraîne dans un tourbillon jouissif d’interprétation. Falot, séducteur ou « kéké », le comédien quant à lui s’en donne à cœur joie et nous amuse de ses désopilantes saillies et mimiques.
Totalement ensorcelé par cette leçon de théâtre, qui parfois tourne au cours magistral, on se laisse porter par cet immense cri d’amour au spectacle vivant, aux artistes et à tout ceux qui, dans l’ombre, donnent vie aux pièces et permettent que cet art se perpétue siècle après siècle. Zigzag est une gourmandise à déguster sans tarder, une mise en abîme pétulante et fascinante à découvrir au plus vite.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Zigzag de Xavier Lemaire
Théâtre du Petit-Montparnasse
31, rue de la Gaîté
75014 Paris
à partir du 18 janvier 2018
du mardi à samedi à 19h et le dimanche à 17h15
durée 1h25
Mise en scène de Xavier Lemaire
Avec Xavier Lemaire, Isabelle Andréani, Frank Jouglas
Décor de Caroline Mexme
Lumières de Stéphane Baquet
Costumes de Marie-Thérèse Roy
Crédit photos © JB Vincens