Un couple, la nuit. Elle est jeune, brusque, un brin capricieuse. Lui plus âgé, paumé et protecteur. De leur rencontre fortuite naît une passion vénéneuse, un amour brûlant qui les entraîne dans une errance sans fin, mortifère. S’inspirant du couple légendaire Bonnie and Clyde, Lola Molina nous invite à un road trip rare, âpre et poétique que souligne la mise en scène épurée de Lélio Plotton.
Sur scène, deux silhouettes apparaissent dans la pénombre. Chacune s’installe à l’opposé l’une de l’autre. Dans cette étrange obscurité, une voix grave, chaude, légèrement imbibée d’alcool s’élève. C’est celle de Vlad (troublant Laurent Sauvage), un homme sans âge, ténébreux. Perdu dans ses pensées, il se souvient de cette nuit particulière, où son destin a croisé celui de Dolly (mutine Anne-Lise Heimburger), une jeune fille esseulée, à l’attitude provoquante. Si rien ne semble la distinguer des autres créatures tendres et paumées qui hantent les bars, juste avant que l’aube ne se lève, très vite, apparaissent chez elle quelques singularités qui le fascinent. Entre eux, l’attirance est immédiate, fatale.
Une chambre réservée dans un hôtel impersonnel en bord du périphérique abrite leurs premiers émois, les prémices de leur amour brûlant, incandescent. Imperceptiblement tout bascule, elle n’est qu’une enfant et a le diable au le corps, il n’est pas le flamboyant vieux beau qu’il rêverait d’être, mais bien un loser, un raté. La folle passion mêlée de non-dits, de violence et de sang qui anime leur cœur, les entraîne dans une cavale funeste et rock n’roll, une course-poursuite qui les emmène à tombeau ouvert vers une mort certaine. Tout comme Bonnie and Clyde, Dolly et Vlad ont en eux cette urgence de vivre sans bride, sans règle, de jouer leur existence sur un coup de tête, de poker.
Plume acérée, incisive, poétique, Lola Molina signe un texte radical, vibrant, humain qui plonge dans les méandres de la passion amoureuse, de la folie meurtrière. Sans concession, sans filtre, elle conte l’errance de deux âmes que la vie a abîmées, que la société a mis à son ban. Aussi sombre que soit leur existence, la dramaturge leur donne une flamboyance, une force séduisante qui fascine et captive.
Avec délicatesse et vitalité crue, Lélio Plotton s’empare de cette folle équipée pour lui donner corps et puissance féroce. Passant du récit à deux voix, genre voix-off, à des scènes au réalisme décalé qui nous immergent dans la vie de Dolly et Vlad, il s’amuse à casser les codes pour mieux nous saisir, nous amener au plus près de ces deux cœurs qui palpitent, s’emballent à l’unisson. Malgré leur qualité, leur beauté, on peut regretter que les images vidéos, venant renforcer l’onirisme de la pièce en défilant derrière nos deux protagonistes dans un carré blanc, ne soient pas suffisamment exploitées. On se laisse toutefois totalement happé par la simplicité de la scénographie et le jeu habité des deux comédiens.
Silhouette longiligne, un brin courbée, timbre de voix et gueule à la Gainsbourg, Laurent Sauvage campe un raté éblouissant, terriblement séduisant, un homme qui laisse ses désirs dominés sa pensée, le danger prendre le pas sur la banalité du quotidien. Visage de gamine pétillante, voix douce, étrange, Anne-Lise Heimburger est une lolita taquine et charnelle, une adolescence au bord de la rupture, une enfant bipolaire bravache. Ensemble, il forme un couple vénéneux effroyablement attirant, charismatique qu’on prend un malin plaisir à aimer.
Pris dans leur rets, on se laisse totalement ensorcelé par cette romance meurtrière, par cette chevauchée funeste. Sans tarder, montez au paradis et goûtez au soufre de l’enfer.
Par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Seasonal Affective Disorder de Lola Molina
Théâtre du Lucernaire – Salle du Paradis
53 Rue Notre Dame des Champs
75006 Paris
jusqu’au 14 avril 2018
du mardi au samedi à 31h
Durée 1h30
mise en scène de Lélio Plotton
avec Anne-Lise Heimburger & Laurent Sauvage
lauréat du prix Lucernaire – Laurent Terzieff – Pascale De Boysson 2017
texte publié aux éditions Théâtrales.
création Sonore : Bastien Varigault
création Vidéo : Jonathan Michel
création Lumières : Françoise Michel
Crédit photos © Victor Tonnelli