La probité ne paie pas dans nos sociétés vérolées par l’ultralibéralisme féroce. L’apprenant à ses dépens, George Mastromas, ce Faust moderne séduit par la vie facile que procure mensonges et trahisons, se mue imperceptiblement en un salaud cynique des plus communs. Avec malice et ingéniosité, Franck Berthier donne une lecture désopilante et fine de la fable cinglante de Denis Kelly. Bravo !
Tout est ordinaire chez Gorge Mastromas (extraordinaire Yannick Laurent). De sa naissance sans accroc à son adolescence banale, rien ne distingue particulièrement ce jeune homme gauche et loyal. Honnête, fidèle, il sacrifie toujours son bonheur à celui des autres, préférant être looser que salaud. Perdant tour à tour amis, fille de ses rêves et popularité, il glisse insensiblement vers une existence morne, banale. Rien de bien joyeux dans tout cela, me direz vous.
L’intérêt de ce récit des premières années de la vie de cet homme ordinaire n’est pas tant dans ce qu’il fait, que dans la façon dont Denis Kelly s’amuse à la présenter. Loin de tout pragmatisme, il signe de sa plume particulièrement vive, drôle, une partition chorale des plus savoureuses. Autour du corps nu du protagoniste principal, les six autres comédiens, costumes sombres cintrés, échancrés, se dandinent et éructent à vive allure et avec espièglerie caustique les différents éléments fondateurs et constitutifs de sa personnalité veule et insignifiante.
Il suffira d’une rencontre avec une « working girl » vamp’ (hallucinante Amélie Manet) pour que le gentil garçon vende son âme au diable et intègre une société secrète dont l’unique objectif est de dominer le monde grâce au pouvoir prodigieux de l’ultralibéralisme à tout crin. Achetant tout, le falot George accumule les richesses, mais cela ne suffit pas à conquérir le cœur de sa belle (éblouissante Marie-Caroline Le Garrec). Pour toucher cette âme abîmée, sensible, il n’a plus qu’une option s’enferrer dans un mensonge crasse, qui pourrait bien le conduire à sa perte.
Jouant sur tous les registres, passant du rire au drame, Dennis Kelly compose une pièce à tiroirs âpre et saisissante. Avec sagacité et malice, il esquisse le portrait au vitriol de nos sociétés contemporaines et décomplexées que la mondialisation, le capitalisme et le malheur ultra-médiatisé ont totalement perverties. S’inspirant du mythe faustien, il signe une fable cynique dont la mise en scène pop particulièrement habile et rythmée de Franck Berthier souligne la noirceur, révèle la mélancolique espérance.
Dans un décor des plus sobres imaginé par Frédéric Couade, nos sept comédiens prennent un malin plaisir à conter L’abattage rituel de George Mastromas et se laissent emporter dans la ronde mortifère qui mène notre salaud magnifique aux portes des enfers. Parfaitement mis en valeur par les lumières Mireille Dutrievoz, chacun compose une multitude de personnages particulièrement piquants et hauts en couleur. Tous sont absolument épatants, mais attention chaque soir, ils inversent leurs rôles, sauf Yannick Laurent, impressionnant qui campe un George Mastromas tout autant flamboyant que pathétique. Jouant sur toutes les palettes de son art, il se fait tour à tour mielleux, charmant, féroce et effrayant. À ses côtés, on notera la performance de Geoffrey Couët, bouleversant en frère souffreteux, celle de Marion Feugère en conteuse désopilante, d’Adrien Guitton en groom maladroit, d’Amélie Manet en dévoreuse de société ultra sexy, de Marie-Caroline Le Garrec en amoureuse lucide et enfin de José Corpas en chef d’entreprise raté.
Entrez sans tarder dans ce ballet survolté, sombre, qui interroge sur la monstruosité de nos mondes bouffés par la finance et laissez vous séduire par ce conte sardonique absolument délectable.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
L’abattage rituel de George Mastromas de Dennis Kelly
Studio Hébertot
78bis, boulevard des Batignolles
75017 Paris
jusqu’au 11 avril 2018
les mardis, mercredis & samedis à 21h & les dimanches à 17h
Durée 1h45
mise en scène de Franck Berthier
avec Yannick Laurent, Amélie Manet, Marie-Caroline Le Garrec, Claire Ruppli, Adrien Guitton, Geoffrey Couët, Marion Feugère et José Corpas
lumières de Mireille Dutrievoz
univers sonore de Romain Bernardini
Scénographie Frédéric Couade
Crédit photos © © Just A Pics