Lorsque vous assistez à la Mousson d’été, il est impossible de ne pas croiser des comédiennes et des comédiens, le sac sur l’épaule, brochure à la main, courant d’un endroit à l’autre de l’Abbaye des Prémontrés. Marie-Sohna Condé est une silhouette familière de cette ruche foisonnante. Nous lui avons donné rendez-vous, entre deux répétitions, dans le beau jardin des senteurs, pour qu’elle nous raconte la formidable aventure de ces rencontres théâtrales.
Comment êtes-vous arrivée pour la première fois à la Mousson d’été ?
Marie-Sohna Condé : C’était y a six ans. Pascale Henry avait écrit un texte, Présence(s). Quand il a été choisi par le comité de lecture, elle leur a dit qu’un rôle avait été écrit spécifiquement pour une actrice noire qu’elle connaissait très bien. Elle m’a présenté et ils ont accepté. Après cela, ils m’ont proposé de participer à d’autres lectures. Et depuis, on me rappelle chaque année !
Comment se passe le choix des comédiennes et comédiens ?
Marie-Sohna Condé : Pour ma part, c’est parce qu’une autrice et metteuse en scène m’a choisi. Mais la Mousson, c’est un comité de lecture qui œuvre durant toute l’année. Au terme des délibération, ils sélectionnent les pièces qui vont être mis en lecture. En fonction de cela, Véronique Bellegarde, qui dirige la Mousson, fait la distribution et appelle des acteurs et des actrices.
À partir de quand vous contacte-t-elle ?
Marie-Sohna Condé : Deux ou trois mois avant le début ! Surtout pour savoir si on est disponible.
Ce qui vous permet de travailler en amont ?
Marie-Sohna Condé : De juste nous familiariser avec le texte ! Car on ne commence véritablement le travail de mise en espace qu’une fois ici. On reçoit les textes qui nous sont destinés, un mois avant. Ce n’est que quand on arrive à Pont-à-Mousson que l’on sait avec quel directeur ou directrice nous allons collaborer. Ensuite, nous pouvons nous mettre au service du texte.
C’est un exercice qui doit être vertigineux !
Marie-Sohna Condé : C’est vraiment la liberté. Tu es obligé de faire un petit plongeon dans le vide. C’est aussi vertigineux, parce que cela donne accès à des rôles que je n’aurais pas forcément la possibilité d’aborder ailleurs. J’ai tout joué ici. Je ne suis pas limitée. Dans ce lieu très privilégié qu’est la Mousson, il n’y a pas d’emploi.
Donc vous pouvez incarner une grande blonde !
Marie-Sohna Condé : C’est ça (rires) ! Je peux jouer une grande blonde, une grand-mère, une petite fille. Je peux mesurer deux mètres ou dix centimètres. Il y a vraiment quelque chose de cet ordre-là, qui fait que tu retrouves la joie de jouer, de participer avec d’autres à raconter une histoire. Ici, tout est possible.
Combien de temps travaillez-vous ces lectures ?
Marie-Sohna Condé : On a un gros service de quatre heures et trois services de deux heures et demie ou trois heures. Ça donne une petite quinzaine d’heures pour s’approcher du texte.
Et du coup, quand vous êtes distribuée dans plusieurs textes, cela fait une belle journée !
Marie-Sohna Condé : Tu peux travailler le matin à un texte, en jouer un l’après-midi, répéter un autre le soir… Et si vous êtes pris dans le cabaret du soir, cela peut ne jamais s’arrêter.
Peu de temps pour répéter, et donc approfondir les sentiments, les intentions. Ça doit être un sacré défi !
Marie-Sohna Condé : C’est ça ! Une quinzaine d’heures, c’est très court. C’est à l’os. Tu es obligé de te laisser porter par le texte, de rentrer complètement dans la langue de l’auteur. C’est obligé. On n’a pas le temps de travailler un concept avec un metteur en scène qui a réfléchi sur son spectacle pendant des mois, voir des années, et qui a appelé et choisi chaque intervenant pour servir sa pensée. Nous ne sommes pas du tout là-dedans. On est là pour faire entendre une langue. Cette langue qu’on ne connaissait pas il y a un mois.
Le metteur en scène devient un metteur en lecture qui vous accompagne…
Marie-Sohna Condé : Il ou elle est comme nous. C’est-à-dire qu’il y a un mois, la personne ne connaissait pas le texte.
Vous allez donc tous travailler sur l’intuition, qui se rapproche d’une certaine spontanéité ?
Marie-Sohna Condé : Oui, la spontanéité ! C’est un jet ! En même temps, cela demande beaucoup d’humilité. Cela demande de lire un texte comme, peut-être, on ne sait plus en lire. C’est-à-dire, qu’il faut déjà respecter la ponctuation, commencer par voir ce que ça raconte, ce qui sort du texte et se laisser guider par ça.
L’exercice de la Mousson doit vous plaire, car cela va faire sept ans que vous y revenez…
Marie-Sohna Condé : J’ai la chance que l’on me rappelle tous les ans ! Je suis trop contente. C’est très important pour moi parce que c’est très précieux. Ce petit bonbon du mois d’août compte beaucoup. De repartir comme ça presque à l’origine de notre métier, d’avoir la possibilité de la découverte, de jouer comme jouent les enfants, cela donne beaucoup de force pour le reste de l’année. Puisque c’est de la lecture, ce n’est même pas vraiment jouer, car on n’est pas dans les codes que l’on connaît. C’est un entre-deux, où la seule obligation de résultat est de faire entendre le texte. Ce n’est pas la moindre des exigences ! C’est comme un exercice de porosité. Il faut se laisser pénétrer par l’autre, regarder l’autre, accueillir d’autres mondes, d’autres univers, d’autres vies, d’autres comédiens…
Des gens avec qui vous n’auriez peut-être jamais travaillé…
Marie-Sohna Condé : Exactement ! C’est comme une grande troupe, en fait. C’est de l’altérité absolue à tous les niveaux !
Et il y a aussi les stagiaires de l’Université d’été…
Marie-Sohna Condé : Qui viennent voir toutes les lectures. Ils en parlent avant, après, avec les directeurs de stage. Ici, on mange tous ensemble, on vit ensemble. On se croise tout le temps. Tantôt nous sommes sur le plateau et eux, ils nous regardent. Tantôt, on est à côté d’eux à regarder ensemble, témoins du même geste de mise en lecture. C’est vraiment formidable.
Un de vos meilleurs souvenirs ?
Marie-Sohna Condé : Oh là là ! (rires) J’en ai tellement ! Ça va être difficile. J’ai adoré découvrir et jouer ici Privés de feuilles, les arbres ne bruissent pas de Magne van der Berg, mis en lecture par Michel Didym, en 2020, et qui est devenu ensuite un spectacle mis en scène par Pascale Henry. C’est un de mes merveilleux souvenirs de la Mousson.
Cette lecture est devenue ensuite un spectacle…
Marie-Sohna Condé : Comme d’autres ! C’est à la Mousson que j’ai rencontré Julia Vidit, en 2019. J’avais été choisie pour sa mise en lecture de La bouche pleine de terre du Serbe Branimir Šćepanović, qui est devenu un spectacle pour lequel elle m’a ensuite gardé. Il y a aussi des textes qui ne restent pas. Parfois, il y a un ailleurs. Mais cela déclenche des trucs qui font que finalement, le texte est produit ! Ce qui permet de le faire entendre à encore plus de monde.
Cela vous permet aussi de découvrir des auteurs ?
Marie-Sohna Condé : Tout à fait, l’année dernière, j’ai adoré, par exemple, Fendre les lacs, la pièce du Québécois Steve Gagnon. On était beaucoup sur le plateau. C’était presque du théâtre, car c’était une lecture très, très mise en espace. Ça m’a beaucoup plu ! Pour l’édition 2024, j’ai la chance de lire le Et au-delà rien n’est sûr, le texte de la Norvégienne Monica Isakstuen, celui de la Suédoise de Sarah Stridsberg, Vertigo, ou Des pintades et des manguiers de Claire Tipy, et d’avoir travaillé avec les metteuses en scène Veronique Bellegarde, Aurélie Van Den Daele et Cathy Min Jung. C’est fantastique.
En quelques mots, une définition de la Mousson d’été ?
Marie-Sohna Condé : La joie de l’autre.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Pont-à-Mousson
La Mousson d’été
Abbaye des Prémontrés – 54700 Pont-à-Mousson
Du 22 au 28 août 2024