Pour vous, que représente le Théâtre du Peuple ?
Clément Breton : Pour moi, cela représente ma rencontre avec le « milieu » théâtral, il y a dix ans. N’étant pas de ce domaine, mais engagé pour la construction de décors en tant que menuisier, j’ai découvert ce qu’était une création de spectacle où chacun des participants donne le meilleur de soi pour « offrir » une œuvre au public. Cette rencontre a bien évidement été renforcée par la typicité de ce lieu, tant par sa forme et par son fond. Et l’on peut dire que j’ai un grand attachement pour ce théâtre. Je suis toujours cueilli par l’énergie qu’il développe chez l’ensemble de ses acteurs plus ou moins éphémères, de rencontres qu’il procure de par sa beauté et par son aura transmise autour de valeurs humaines fortes.
Véronique Damgé : Il m’est très familier en tant que spectatrice des créations de tous les étés. Quand le public est absent, on entend le théâtre respirer. Les planches de bois craquent et le vent s’y faufile. Sa connivence avec la forêt m’émeut. C’est comme un grand personnage historique que l’on vient honorer tous les ans. Et puis c’est un lieu généreux, qui réunit tous les ans sur sa scène des comédiens prestigieux et des amateurs passionnés.
Baptiste Relat : C’est un lieu mythique et magique. Il a beaucoup alimenté mes rêves de théâtre pendant des années, surtout depuis que j’essaie, à ma petite échelle, de nourrir le lien entre le théâtre et les habitants en milieu rural, chez moi dans le Drôme. À cet égard, le TDP est un phare, une utopie en marche à laquelle je ne soupçonnais pas de participer un jour. C’est en train de se faire, et c’est d’autant plus merveilleux lorsque ça se concrétise.
Jouer Shakespeare dans ce lieu singulier et magique, qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Clément Breton : On peut toujours se demander en quoi il est pertinent de remonter une nouvelle fois un Shakespeare, mais il est vrai qu’au Théâtre du Peuple, il sera monté uniquement pour ce lieu, qui y donnera une touche unique par le biais de ses spécificités propres, que ce soit son architecture, son implantation environnementale, le mélange de professionnels, d’amateurs, bénévoles, etc. Cela permet d’atteindre un public étendu certains découvrant d’autres redécouvrant une pièce classique. Cependant, il me parait aussi important d’y monter des œuvres moins connue afin de présenter un panel plus large de ce que peut-être le théâtre. L’alternance entre une pièce classique et une œuvre plus contemporaine au sens large me paraît donc très intéressante pour ce lieu.
Véronique Damgé : Shakespeare a toujours été un auteur inatteignable pour l’actrice amatrice que je suis. Ses pièces demandent souvent une grande distribution, une taille de scène importante et surtout du temps pour en comprendre tous les ressorts. À Bussang, réunir les deux monstres sacrés que sont Shakespeare et le Théâtre du Peuple est pour moi une évidence.
Baptiste Relat : Ce plateau vibre de grandes ondes, le fouler procure beaucoup d’énergie, d’autant plus qu’on sent la puissance du dehors affleurer derrière les portes. Shakespeare est un théâtre de l’immense, du tout-possible, et les éléments naturels sont tout le temps convoqués. L’énergie du lieu y répond parfaitement. C’est déjà très émouvant d’être là, de jouer pour 600 personnes qu’on sent vibrer sur les bancs de bois. Alors quand la magie du Conte d’hiver est convoquée, j’ai l’impression de me laisser faire. Je puise ici toute la force et tout le sensible que ce théâtre me donne pour jouer Léontes.
Comment s’est passé le travail avec Julie Delille ?
Clément Breton : Le travail avec Julie se passe bien, mais il est difficile de pouvoir répondre maintenant à cette question : notre rencontre est encore très récente et conditionnée aux enjeux de travail, avec des contraintes temporelles assez fortes. Chaque année est particulière, et elle l’est d’autant plus lors d’un changement de direction, bien que je ne sois qu’intermittent dans ce lieu. Il faut réussir à aborder la nouvelle énergie et les nouveaux regards qu’elle apporte en adaptant son propre fonctionnement et les habitudes que l’on a pu prendre. La confiance doit continuer de s’établir pour se comprendre au plus juste et œuvrer communément de la meilleure des manières. La rencontre se crée, et elle est vouée à se nourrir et s’enrichir, je n’en doute pas.
Véronique Damgé : Travailler avec Julie, c’est entrer corps et âme dans l’univers de la pièce qu’elle a imaginée. C’est aussi apprendre la précision du texte, du geste, de l’enjeu du personnage pour chaque scène. C’est comprendre l’importance de se poser les questions simples sur son personnage : d’où vient-il ? Que veut-il ? Quel est est son but ? C’est à la fois être exigeant avec soi-même et bienveillant. C’est ce qu’est Julie avec nous.
Baptiste Relat : Je suis très honoré de la confiance qu’elle me fait pour ce grand rôle, qui demande à la fois un grand abandon et une grande précision. Pas à pas, nous avons essayé ensemble de comprendre la folie de Léontes, les tout petits rouages qui enclenchent un à un cette mécanique autodestructrice. J’ai été très nourri, très accompagné aussi par Alix Fournier Pittaluga. Toutes les deux m’ont proposé un double challenge : être très au présent, sur le fil du doute, et pour cela elles m’ont offert beaucoup de temps au plateau. Et en même temps j’ai essayé de comprendre les intuitions très imagées de Julie pour ce rôle : l’animalité, le monstre, le tragique, qui sont maintenant chaque jour des rendez-vous très forts et très contrastés. Même si je la connaissais déjà dans le travail, j’ai perçu ces dernières semaines comme une nouvelle rencontre. Chaque représentation est aussi l’occasion de rester au travail ensemble. Je les remercie très fort de maintenir ce cadre exigeant avec autant de joie.
Que retenez-vous de ce début d’expérience ?
Clément Breton : Ce que je retiens de ce début d’expérience c’est que malgré les enjeux assez conséquents qui concernent la création du Conte d’hiver mais également de la gestion du lieu lui-même, une nouvelle fois chacun a réussi à dépasser ses peurs, ses doutes, ses difficultés et donner le plus généreusement ce qu’il pouvait que ce soit dans le relationnel de toute l’équipe au quotidien que pour le public qui est de passage. Quand je vois ce qu’il apporte à sa découverte du premier instant et ce qu’il permet de créer humainement autour de l’art, avec les autres, pour les autres, je trouve ce lieu magique.
Véronique Damgé : De ce début d’aventure à Bussang se dégagent deux dominantes fortes : un respect mutuel de toute l’équipe réunissant la technique, les créateurs, les comédiens amateurs et professionnels, et la joie de travailler ensemble. Je crois très fort que le Théâtre du Peuple nous pousse à mettre de côté toute pensée énervante ou blessante.
Baptiste Relat : J’espère que l’expérience se reproduira. Que d’autres textes m’appelleront sur cette scène, car je suis désormais très attaché à ce lieu et vraiment heureux des nombreuses rencontres que j’y fais. Pour le moment j’essaie de profiter au maximum de toute cette générosité, et de tous ces partages. À chaque jour sa joie, son expérience pleine.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore par l’entremise de Julie Delille
Le Conte d’hiver de William Shakespeare
Théâtre du Peuple
40 Rue du Théatre du Peuple
88540 Bussang
Du 20 juillet au 31 août 2024
Durée 3h avec entracte
Traduction de Bernard-Marie Koltès
Mise en scène de Julie Delille assistée de Gwenaëlle Martin
Avec Laurence Cordier, Laurent Desponds, Baptiste Relat et les comédien·nes amateurices de la troupe 2024 du Théâtre du Peuple
Dramaturgie d’Alix Fournier-Pittaluga
Scénographie et costumes de Clémence Delille assistée d’Elise Villatte
Création lumière d’Elsa Revol
Musique de Julien Lepreux, avec la voix de Gaëlle Méchaly
Régie générale et lumière Pablo Roy
Régie son Corentin Guiblin