Laurent Domingos et Harold David © Johanna Baschke
Laurent Domingos et Harold David © Johanna Baschke

Harold David et Laurent Domingos, les deux têtes pensantes du off

Élus à la présidence d’Avignon Festival et compagnies en 2022, le directeur de lieu avignonnais et le metteur en scène mettent en commun leur savoir pour changer l’image du off et lui donner un nouveau souffle plus éthique et plus écoresponsable. 

Laurent Domingos : Le off d’Avignon est un festival alternatif de théâtre et de spectacle vivant, qui est coordonné par une association, l’AF&C – Avignon Festival et compagnies. Contrairement au « in » qui est une entité en soi, nous sommes le produit d’un ensemble de contractualisations entre théâtres et compagnies qui souhaitent venir le temps du festival jouer dans la cité des Papes. Notre rôle est d’accompagner les structures à s’inscrire, d’aider à la communication, de créer des rencontres entre professionnels. En résumé, on pourrait dire que l’association est là pour promouvoir et structurer le festival off. 

Harold David : Depuis la naissance du off en 1966, plusieurs associations et organisations se sont succédées avec plus ou moins de succès. En 2006, il y a la nécessité de restructurer l’ensemble. C’est à cette période qu’est née l’AF&C. 

La parade du off 2023 © Johanna Pashke
La parade du off 2023 © Johanna Bashke

Harold David : L’association est constituée depuis 2022, année de notre élection, de deux collèges paritaires, celui des théâtres, et celui des compagnies. Après de multiples crises, il a été décidé d’organiser une co-présidence solidaire. C’est-à-dire que l’AF&C ne peut fonctionner qu’avec un président issu du collège compagnies – Laurent – et un autre du collège théâtres – moi-même.

Laurent Domingos : on parle de présidence solidaire, parce si l’un démissionne, l’autre ne peut rester en poste. Par ailleurs, c’est maintenant dans les statuts, ce système à deux têtes, afin notamment d’éviter les querelles intestines qui ont longtemps rendu ingouvernable l’association et empêcher la mise en place d’un vrai projet. Maintenant, nous n’avons d’autre choix que de nous entendre et ainsi d’avancer ensemble pour le bien des compagnies mais aussi des théâtres. 

Laurent Domingos : Avant de laisser la parole à Harold, je souhaitais juste rappeler que l’association avait à l’origine pour seule mission de gérer le programme, de mettre les infos en comment et d’initier les différentes activités du village du off. Mais depuis 2022, nous avons fait le choix de tendre vers plus de professionnalisation et de structuration. Les différents points qui constituent notre projet commun ont été votés en assemblée générale. Comme cela, tout est clair. La feuille de route que nous devons suivre est inscrite noir sur blanc. Il est ainsi plus facile de dialoguer avec nos partenaires qu’ils soient institutionnels ou professionnels. 

Harold David : Cela été un vrai choix quand nous avons décidé de proposer notre candidature commune avec Laurent. Il était nécessaire d’avoir un programme transparent et très clair pour pourvoir changer l’image du off qui était jusque-là assez désastreuse. C’était vraiment dommageable pour ce qui est aujourd’hui le plus grand festival de spectacle vivant au niveau national et certainement le deuxième au monde en taille et en proposition. Le projet que nous avons porté et décidé de soumettre aux votes des adhérents est constitué de cinq axes : l’accompagnement à la professionnalisation, l’écoresponsabilité, les modèles économiques ; les publics et les territoires et la diffusion. 

Le village du off © Shanon Schmeltz-Chazelon
Le village du off © Thomas O’Brien

Harold David : Nous n’avons rien inventé, nous avons juste mis sur le papier ce vers quoi le off tendait. C’est-à-dire dans un premier temps mieux accompagner la professionnalisation et la structuration du festival et de ses acteurs. Pour ce faire nous avons défini un certain nombre de dispositifs et d’actions concrètes pour aider les théâtres et les compagnies à aller dans ce sens.

Laurent Domingos :  Il a été notamment mis en place un label avec un cahier des charges très précis de 52 points qui est certifié par un organisme de certification indépendant qui s’appelle Pronéo et qui permet d’assurer à la fois les compagnies mais aussi le public et nos partenaires de la qualité des théâtres.

Harold David : Pour ce qui concerne l’éco-responsabilité, nous avons vraiment agi pour réduire l’impact carbone du festival, notamment en limitant l’affichage dans l’espace public– les déchets papiers sont passés de 2022 à 2023 de 60 tonnes à 25 tonnes – et en permettant, cette année, d’organiser une mutualisation des transports par ferroutage du matériel et des décors. Certes ce n’est encore qu’expérimental, mais nous souhaitons dans les années à venir modéliser ce système. 

Afin d’essayer de changer les paradigmes économiques du festival, nous aimerons dans les années à venir faire en sorte que les salles fermées à l’année, soit 90 % des théâtres avignonnais, puissent dans certaines conditions bien définies accueillir des compagnies en résidence. C’est-à-dire faire en sorte que les outils de production soient hors festival au service de la création et du développement économique et social du territoire. 

Laurent Domingos : C’est d’autant plus important que c’est ce qui manque le plus souvent aux compagnies, du temps de résidence. C’est un travail de longue haleine, mais avec la fragilisation du secteur et la précarisation de ses acteurs, il est plus que nécessaire. Il est temps de repenser les modèles économiques de les adapter au temps présent. Nous plaidons pour un soutien croisé du ministère et des collectivités sur ce dispositif de résidence. L’idée est de dire qu’un soutien à l’année cela engendrerait à terme un impact sur les conditions d’accueil des compagnies pendant le festival. 

La parade du off © Shanon Schmeltz-Chazelon
La parade du off © Shanon Schmeltz-Chazelon

Harold David : Par ailleurs, nous commençons à mettre place une politique de développement du public. Nous souhaitons améliorer l’accueil des familles, permettre aux vacanciers étrangers présents sur le territoire d’avoir une meilleure connaissance de l’offre du festival et enfin donner envie aux locaux de venir dans les salles. Dès l’an prochain, nous mettrons en place un village des familles calqué sur celui du off, où il sera proposé des ateliers, des rencontres et des représentations pour les enfants ainsi qu’un système de garderie.

Ensuite, nous aimerions réaffirmer le caractère international du festival, notamment en informant mieux les touristes en villégiature dans le coin sur le fait qu’il y a aussi dans le off des spectacles en langues étrangères ou accessibles à un public non francophone qui pourraient les intéresser. Enfin, nous aimerions que le public avignonnais qui ne loue pas son appartement ne nous voit pas comme des touristes de passage mais bien comme faisant parti de l’écosystème. 

Laurent Domingos : Nous ne voulons plus être considérés comme le festival Paris-Dakar, les Parisiens, les intrus qui débarquent, qui font leur truc entre eux et partent. Nous aimerions qu’enfin la barrière des remparts physique autant que symbolique soit abolie. Le projet est donc de mettre en place des actions culturelles pour inclure la population avignonnaise à ce qu’est le off. Bien sûr nous ne changerons pas à nous seuls la politique culturelle nationale mais on peut l’infléchir un peu de manière locale. 

Harold David : Dernier axe que nous souhaitons faire évoluer et qui est central à Avignon, c’est la diffusion. Nous avons fait le choix de travailler selon deux volets distincts, mais complémentaires. Premièrement comment intéresser les programmateurs à une offre qui n’est pas forcément celle vers laquelle ils iraient naturellement faute de temps. Et donc développer leur curiosité vers des propositions un peu hors de leur parcours classique. Deuxièmement nous aimerions développer l’export des pièces françaises jouées dans le off à l’international. Jusqu’à aujourd’hui, le marché françaissuffisait à absorber l’offre, mais il se rétrécit et ce n’est pas garanti qu’il reste suffisant au long cours au vu des coupes budgétaires qui s’opèrent.

Village du off © Johanna Baschke
Village du off © Johanna Baschke

Laurent Domingos : c’est très fluide. Avec Tiago Rodrigues et Pierre Gendrenneau, nous sommes arrivés à la présidence quasi au même moment. Ce qui a permis un vrai renouveau dans le dialogue entre nos deux entités. Ensemble, nous travaillons en bonne intelligence d’autant qu’il y a une vraie porosité des publics entre le in et le off, ainsi que des compagnies. 75 % des spectateurs du Festival d’Avignon viennent aussi dans le off.

Harold David :  L’un des points essentiels que nous essayons de mettre en place c’est l’alignement des dates. Cette année, avec les JO, nous avons été un peu contraints, mais à l’avenir nous essaierons d’harmoniser tout cela. Nous avons chacun des ADN très différents, mais nous pouvons nous entendre sur une communication commune comme nous l’avons fait notamment pour la nuit du 4 juillet en lutte contre l’extrême-droite. Le mantra, c’est « deux festivals, un seul public ». D’ailleurs maintenant, nous sommes de plus à plus évoquer les festivals d’Avignon. 

Harold David : Nous n’avons clairement pas été aidés par le contexte politique. Les élections législatives, le risque du RN au pouvoir a perturbé le début du festival, c’est indéniable. Mais clairement, nous l’avons constaté en deuxième semaine, le public est là. La tendance observer l’an passé, d’un regain pour le spectacle vivant est là sans nul doute. Les ventes de cartes du off sont relativement stables au regard du nombre de jours effectifs du festival. De quoi croire en l’avenir… 


Festival off Avignon
du 3 au 21 juillet 2024

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