Quand le public entre en salle, c’est la fête sur le plateau. Bières à la main, quatre amis jouent aux cartes et chantent à tue-tête. Ambiance cool et réjouissante de fin de soirée, une belle complicité les unit. Puis, imperceptiblement, on entre dans le vif du sujet. Noé (Kerwan Normant), jeune auteur et metteur en scène à peine sorti d’école mais déjà repéré, prépare sa prochaine pièce. En plein processus créatif, il a convié, le temps d’une résidence, deux comédiennes (Olenka Ilunga et Bonnie Charlès) et un comédien (Jacques-Joël Delgado). Curieux de ce qu’il a écrit, les trois interprètes insistent pour qu’il leur montre une ébauche du texte. Malgré ses réticences, il finit par céder aux injonctions de ses joyeux compères.
Le jeune artiste imagine une fiction autour de l’histoire d’amour contrarié de Simone et André Schwarz-Bart. Les écrits de ce couple d’écrivains sont irrigués par la souffrance subie par leurs familles respectives : elle est descendante d’esclaves, et pour lui, le père, la mère et le frère ont été déportés. Très vite, les mots sonnent creux. Angéle (Olenka Ilunga), qui joue le rôle principal, ne tient plus. Le ton monte. Elle sort de sa réserve et invective Noé sur son incapacité à comprendre son sujet. En tant qu’homme blanc, comment pourrait-il parler d’une femme racisée et de ses difficultés à exister dans un monde toujours pétri de colonialisme, ou d’un homme juif ayant subi l’antisémitisme ?
Derrière cette mise en abîme du théâtre et de la question brûlante de l’appropriation culturelle, Elisa Sitbon Kendall fait du plateau un forum de pensées où les idées se confrontent et s’affrontent, instillant en chacun des spectateurs une réflexion sur le sujet. Accompagnée à la mise en scène par Gaïl-Ann Willig, elle se saisit avec fièvre et justesse du débat identitaire. Porté par quatre comédiens tout feu tout flamme, Monstres met à nu les différents points de vue dans une sorte de joute verbale vive, parfois exubérante, mais qui évite, sur le fil, la caricature. Drôle autant que touchante, cette première pièce a les faiblesses de la jeunesse mais aussi ses forces : fougue et fureur !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Monstres d’Elisa Sitbon Kendall
Festival off Avignon
La Factory – Salle Tomasi
4 Rue Bertrand
84000 Avignon
du 29 au 21 juillet 2024 à 17h35 – relâche les 2, 9, 16 juillet 2024
Durée 1h10
Mise en scène d’Elisa Sitbon Kendall et Gaïl-Ann Willig
avec Bonnie Charlès, Jacques-Joël Delgado, Olenka Ilunga, Kerwan Normant
Lumières d’Adrián Noguera Incardona
Régie – Elise Lebargy