Il était une fois Avignon…. En plongeant dans les archives du festival, Fanny de Chaillé jongle avec les références et entraîne la promo sortante du bachelor Théâtre de la Manufacture – Haute École des arts de la scène de Lausanne dans une mise en abîme folle et décalée du spectacle vivant. S’emparant de photos, de films, de captations, de reportages télévisés et d’émissions radiophoniques, la nouvelle directrice du TnBA propose une plongée dans les archives du plus grand théâtre du monde.
Du théâtre en plein air et des anecdotes
De Gérard Philippe à Jean Vilar en passant par Jeanne Moreau, Rébecca Chaillon, Armelle Héliot, Vincent Josse ou Alain Crombecque, dont l’on peut voir l’exposition consacrée à la Maison Jean Vilar, et bien autre encore, c’est plus de 78 ans d’artistes, de journalistes, de directeurs qui défilent en accéléré devant nos yeux. Avec une belle fluidité, la mise en scène de Fanny de Chaillé passe d’un tableau à l’autre, d’une époque à l’autre. Si la fresque historique s’attarde particulièrement sur les jeunes années du festival, les quinze comédiennes et comédiens se glissent à merveille dans ces figures qui ont fait d’Avignon un théâtre à ciel ouvert.
Imitant le style inoubliable de Maria Casarès dans Macbeth, celui, inclassable, d’Isabelle Huppert dans Médée ou reproduisant Paradise Now, la performance très dénudée et clairement sexuelle de la troupe américaine du Living Theatre, laquelle a valu aux artistes d’être reconduits à la frontière par la police, ils s’en donnent cœur joie dans le décalage et la démesure. Ne se prenant pas trop au sérieux, ils jouent à jouer tout en imprimant, avec une belle dérision sur leur métier, la patine du temps sur ceux qui a fait scandale ou en désacralisant ce qui est entré dans la légende.
Un hommage au théâtre
Dans la lancée de ses derniers spectacles, Le Chœur et Une autre histoire du théâtre, Fanny de Chaillé poursuit son travail autour de la mémoire du théâtre, des coulisses à la scène. Une manière, pour elle, de reconnecter les jeunes artistes, à peine sortis de formation, avec les générations précédentes qui ont nourri le théâtre d’aujourd’hui. Bien qu’il ne soit pas forcément nécessaire de connaître l’histoire du Festival d’Avignon ou d’être du sérail pour se laisser emporter par cette folle aventure qui survole 78 ans en moins d’une heure quarante, quelques références sont nécessaires pour appréhender l’ingéniosité de la metteuse en scène et chorégraphe. En effet, en distillant par bribes les grandes étapes, elle donne à voir le festival dans son ensemble.
De cette première scène incongrue, où pendant que le public s’installe, deux des jeunes comédiennes, assises au-devant de la scène, côté cour, marmonnent en anglais mots et chiffres, référence direct à la pièce de Bob Wilson, Einstein on the beach (1976) aux dernières scènes qui évoquent l’annulation de 2003 puis les insultes racistes subies par les comédiennes de Carte noire nommée désir de Rébecca Chaillon, l’an passé, c’est tout un monde, un microcosme qui voit son portrait dressé sur la terre poussiéreuse du cloître des Célestins.
Gentiment irrévérencieux, foncièrement joyeux, cet hommage à Festival d’Avignon est une gourmandise savoureuse où l’on s’amuse autant des comédiens que de leur jeu déclamatoire, des journalistes que de leurs bons mots, des metteurs en scène que de leur grandiloquence et des spectateurs que de leur naïveté néophyte. Porté par une troupe à l’énergie communicative — ils sont tous excellents, drôles et émouvants —, Avignon, une école est un bel objet, peut-être un peu candide, un peu facile, mais tellement réjouissant qu’on se laisse charmer.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Avignon, une école de Fanny de Chaillé
Spectacle créé le 5 juin 2024 au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse).
Festival d’Avignon
Cloître des Célestins
Place des Corps-Saints, 84000 Avignon
Conception et mise en scène Fanny de Chaillé
Avec les étudiantes et étudiants du Bachelor Théâtre de La Manufacture – Haute École des arts de la scène de Lausanne :Eve Aouizerate, Martin Bruneau, Luna Desmeules, Mehdi Djouad, Hugo Hamel, Maëlle Héritier, Araksan Laisney, Liona Lutz, Mathilde Lyon, Elisa Oliveira, Adrien Pierre, Dylan Poletti, Pierre Ripoll, Léo Zagagnoni, Kenza Zourdani
Lumière de Willy Cessa
Son de Manuel Coursin
Costumes d’Angèle Gaspar
Assistanat – Grégoire Monsaingeon, Christophe Ives
Collaboration à la copie d’archive – Tomas Gonzalez
Régie générale – Emmanuel Bassibé, Robin Dupuis
Assistanat à la technique – Amon Mantel