Une voix pure s’élève du triste quotidien et nous plonge dans les pensées désespérées d’une vieille dame ayant la mort en ligne de mire. L’envoûtante musique de Rameau habilement dirigée par Christophe Rousset et la présence radieuse de Léa Desandre, subtilement transcendée par la mise en scène singulière, futuriste de Phia Ménard, sauvent le livret creux, bavard, signé Eric Reinhardt.
Après le succès en septembre dernier de Miranda, une composition artistique inspirée des musiques de Purcell, des textes de Shakespeare et mise en espace par Katie Mitchell, Olivier Mantei, directeur de l’Opéra Comique, reprend ce concept patchwork autour de l’œuvre baroque de Jean-Philippe Rameau. Aux commandes de cet ovni opératique qui nous promet un étrange et mystique voyage sur les terres arcadiennes, la performeuse Phia Ménard pour la scénographie, la mise en scène, et le romancier Eric Reinhardt pour les textes.
Alors que le noir se fait, les premières notes s’égrènent et envahissement l’espace. Envoûtantes, elles nous invitent au rêve, à l’abandon, à une singulière balade sous les voûtes dorées, les moulures ciselées de l’Opéra Comique. Le temps n’a plus de prise. Le bruit de la ville s’est évanoui. Le monde du dehors, sa grise banalité, s’est évaporé. Des lettres lumineuses sur le rideau baissé, nous rattrapent au vol, nous ancrent dans une autre réalité, celle de Marguerite (Lumineuse Léa Desandre).
Vieille dame de plus de 90 ans, elle refuse que la mort l’engloutisse. Sa tête ne peut accepter cette fatale issue. Si son corps s’est avachi, son esprit est toujours vif. Il n’a que 23 ans. Il est resté intact, depuis le jour où une étrange prophétie lui a annoncée la date exacte de son décès. Devenue une icône adulée, harcelée par des admirateurs fanatiques, Marguerite s’adonne à la vie sans compter malgré les blessures, les fêlures, les atermoiements de son âme. Brûlant la vie par les deux bouts, incapable de refréner ses ardeurs, ses envies, elle ne peut, le jour dernier venu, se départir de son enveloppe charnelle sans combattre, même si c’est vain.
Bien que l’histoire contée par Eric Reinhardt ait de quoi captiver, tant elle questionne sur la vie, la mort, le rapport aux autres, la célébrité et ses revers, le texte, joliment tourné, sonne creux, vide de sens, et nous laisse sur le carreau. Heureusement, la musique de Rameau, adroitement soulignée par Christophe Rousset, envoûte. Mais la magie opère, grâce à la voix cristalline et à la présence lumineuse de la Mezzo-soprano Léa Desandre. Silhouette gracile, elle capte l’attention et rattrape au vol ce trop lancinant spectacle fait de flottements interminables, d’écrits bavards et de moments suspendus à la beauté futuriste et épurée.
Au-delà des notes, des mots, des tessitures, c’est bien la mise en scène cosmique, fantasmagorique de Phia Ménard qui séduit ou rebute. Son univers singulier, fait de glace et de brume, chahute l’espace, secoue les habitudes. Aveuglant les spectateurs avec une grille de spots pour les sortir de leur confort, elle les entraîne ensuite dans un monde épuré, noir où les éléments se déchaînent malmenant le corps de Marguerite afin de l’emmener aux termes de son existence. Fleurs gelées qui s’ouvrent et se fanent en se réchauffant, sculpture géante qui s’affaisse et s’écroule en décongelant, immense cape sépulcrale rappelant quelques instruments de torture moyenâgeux réservés aux sorcières, aux femmes adultères, plans inclinés glissants, cube céleste où le corps astral flotte avant d’être avalé par une gigantesque poche noire qui envahit l’espace symbolisant le tout ou le néant, la performeuse metteuse en scène ne ménage aucune susceptibilité et se libère du poids historique des lieux avec un esthétisme onirique, une simplicité plastique et une virtuosité technique.
Loin de laisser indifférent, le spectacle divise, les hués et les applaudissements se disputant la première place dans un brouhaha hors du temps. Et in Arcadia ego n’est certes pas parfait, mais a le grand mérite de faire bouger les lignes et d’ouvrir les portes de l’Opéra-Comique à un public peut être moins averti, mais prêt à être bousculé, conquis par une pièce lyrique mêlant les arts vivants. Et c’est déjà pas si mal !
Olivier Frégaville-Gratian d’amore
Et in Arcadia ego, une composition lyrique sur des œuvres de Jean-Philippe Rameau
Opéra Comique
5, rue Favart 75002 Paris
jusqu’au 11 février 2018
Durée 1h30
Direction musicale : Christophe Rousset
Mise en scène : Phia Ménard
Dramaturgie et livret : Éric Reinhardt
Mezzo-soprano : Lea Desandre
Chœur : Les éléments
Orchestre : Les Talens Lyriques
Crédit photos © Pierre Grosbois