Dans la cour de la Parenthèse, les gradins affichent complet. Professionnels et festivaliers ont leur habitude. Ils viennent dans ce lieu pour repérer les artistes de demain et découvrir les créations en devenir de chorégraphes plus affirmés. Pour ce deuxième programme, Emmanuelle Jouan a concocté une étonnante et alléchante émulsion allant d’une chorégraphie toute en délicatesse à une danse de guerrières des plus musclées.
Autoportrait hybride
Cheveux noirs courts, Mellina Boubetra, dont on avait découvert en 2021 un extrait d’Intro, sa première pièce, sur le plateau à ciel ouvert de la Belle Scène Saint-Denis, poursuit l’exploration du mouvement à travers un voyage introspectif dans les méandres de sa pensée et de son corps. Cette fois, accompagnée du compositeur et performeur Alvise Sinivia, elle fait de la scène un lieu de confession et d’identité.
Bandes magnétiques broussailleuses au sol, magnéto stylisé en table de chevet dorée en arrière-plan elle donne un peu d’elle-même et porte au plateau des interrogations qui disent beaucoup de ce qu’elle est, une artiste qui doute, qui essaie et qui, par sa présence unique et sa gestuelle virtuose, irradie l’espace. Les quelques phrases qui s’échappent de son micro ou de la bande son amplifiée et distordue par Alvise Sinivia résonnent comme des mantras d’encouragement. Mais c’est quand elle danse que le temps se suspend. Mouvements parfaitement dessinés, Mellina Boubetra impose un style tout en grâce retenue.
Du robot au derviche tourneur
Autre registre, avec Rien de vu n’est à nous, Frank Micheletti invite à un voyage dans différents courants chorégraphiques. Installé derrière les platines, il mixe et guide son extraordinaire interprète, Aline Lopes, sur les chemins éclectiques de la danse. Comme traversé par la musique, son corps semble ne faire plus qu’un avec les différents sons et les différentes notes qui s’échappent puissants dans les airs d’Avignon.
Telle une cyborg, elle déploie une gestuelle très mécanique. Puis petit à petit, muscles et articulations se détendent. Le lâcher-prise, parfaitement maitrisé, vient poindre. Comme emportée dans un tourbillon, elle commence à tournoyer de plus en plus vite. Ses cheveux longs, telle une jupe de derviche tourneur, volent et ondulent. Transcendant l’espace, Aline Lopes touche à l’émotion pure. Sublime !
Quatuor de guerrières
En clôture de ce programme très riche, Sandrine Lescourant et ses « girls » brisent le quatrième mur et invitent les spectateurs au cœur d’un battle. Issues du hip hop, nos quatre fantastiques de la danse ne s’embarrassent de rien. Elles font de la scène une tribune, un forum. Rage au ventre et larmes aux yeux, elles font de la performance une arme. Chacune, à travers une anecdote, un récit, livre un peu de ce qui les constitue : un mental de guerrière, une joie de vivre de battante, un émoi à fleur de peau.
S’embarrassant de rien et surtout pas de leurs identités plurielles, Sandrine Lescourant, Dafne Bianchi, Ashley Biscette et Sonia Ivashchenko slamment avec fièvre. Joyeuses autant que revendicatrices, Flamboyantes autant que virtuoses, ces quatre tornades humaines en mettent plein la vue à un public déchaîné, qui finit sur la piste, à leurs côtés. C’est beau, c’est fun, c’est brut. On adore !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
PROGRAMME DANSE #2
7 AU 11 JUILLET À 10H
Durée 1h30 environ
La Belle Scène Saint-Denis
Festival off Avignon
La Parenthèse
18 rue des Études
84000 Avignon
En mon for intérieur #1 Mellina / création – Alvise Sinivia & Mellina Boubetra
> Rien de vu n’est à nous – Frank Micheletti
> Raw – Sandrine Lescourant