Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Dans mon jardin d’enfance, en Normandie. Je mets une perruque de Léo Ferré, du maquillage noir sur mes lèvres, j’ai la tête à l’envers, les pieds sur un trapèze avec mes potes du quartier. J’avais tout compris à l’époque.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Une trilogie de Molière intitulée Le Bourgeois, la Mort et le Comédien. C’était une mise en scène d’Éric Louis, de Cie La Nuit Surprise par le jour. Sept heures de théâtre non stop ! Une expérience inédite du haut de mes dix-sept ans… L’entracte se termine, le public rentre dans la salle alors que les artistes sont encore attablés, à finir leurs repas. Il y a autour de cette table, une forme de détente chaotique, un plaisir d’être ensemble vivants, débordants, fébriles, bref, il y a une émulsion étonnante que je n’ai jamais vue ailleurs. Et je me dis : c’est ça ! C’est ça que je veux vivre. Cette symbiose collective là, tous et toutes tournés vers une même chose : raconter, avec toutes les aspérités que ça comporte.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
J’ai commencé le théâtre en l’abordant par l’axe dramaturgique, avec Pascal Collin. Depuis, cette curiosité à comprendre la mécanique d’une histoire ne me quitte pas. En étant comédienne, c’est le meilleur endroit, à mon sens, pour se poser ses questions avec les tripes. Je me lance dans les aventures théâtrales comme une chercheuse ou une sociologue qui mène l’enquête sur une forme d’humanité.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
C’était au lycée ! Je jouais, La Gamine dans Chimères et autres bestioles de Didier-Georges Gabily. J’accueillais le public, avec un ventre de femme enceinte, et je simulais un accouchement sur scène. Ce fut un vertige, la sensation d’outrepasser une forme d’interdit. Quel pied !
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Une pièce : La mort de Danton de Jean François Sivadier. Une équipe : Les Tg Stan. Plusieurs personnes : Nora Krief, Estelle Meyer, Matila Malliarakis.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Roland Guenoun ! Un grand humaniste qui a mis en scène Anquetil tout seul. La Compagnie Grand Tigre, devenue seconde famille. Le collectif A mots découverts, qui est comme le fil rouge de mon travail, avec qui on accompagne les auteurices dans leurs écritures théâtrales. Élisabeth Bouchaud, ex-scientifique, autrice de la série théâtrale Les Fabuleuses, qui se joue en ce moment à Avignon. Toutes mes sœurs de théâtre avec qui je partage la scène ces derniers temps, des grandes dames qui m’agitent les pensées… Roxane Driay, Elsa Robinne, Odile Ernoult, Charlotte Lequesne, Juliette Malfray, Armance Galpin…
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Il me déséquilibre je dirai, m’emmène dans des sentiers inconnus.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Je joue en ce moment un spectacle à Avignon, avec la Compagnie Grand Tigre, qui s’appelle T.C.H.E.K.H.O.V. On y raconte l’histoire d’Anton Tchekhov par le biais de ses œuvres. Et disons que l’actualité politique, par ce qu’elle a de glaçant, me force l’inspiration lorsque je prononce certaines répliques. « Il faut faire confiance aux gens. Sinon la vie n’est plus possible ».
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Hyper concret. Je pars du réel pour broder ensuite mon imaginaire. Tout est utile et me sert d’appuis pour faire sens, le corps de l’autre, le décor, les lumières, le costume. De cela se tisse un chemin de pensée que j’emprunte joyeusement. La joie est mon leitmotiv. J’ose penser que la joie est politique, si je la porte sur scène, il y a moyen qu’elle infuse ailleurs.
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Top secret.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Auteur.ices, metteur.ses en scène, la liste est longue et ne fait que s’emplir ! Leurs propos, leurs écritures, leurs procédés artistiques raisonnent avec justesse en moi. Dans le désordre et sans transition, il y a Julie Aminthe, Amine Adjina, Clémence Attar, Pauline Peyrade, Hala Moughanie, Marilyn Mattei, Mathilde Souchaud, Julien Guyomard, Matthias Claeys, Simon Grangeat, Claude Lepretre, Olivier Letellier, Yann Verburgh, Didier Ruiz, Gaëlle Axelbrun, Rebecca Chaillon, Julie Timmerman, Yann Allegret, Gilles Granouillet, Julie Ménard, Anne Christine Tinel, Adèle Gascuel, Tristan Choisel, Penda Diouf, Guillaume Cayet…
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Une aventure de douze heures de théâtre !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
J’aime beaucoup le travail de Shiele, j’y vois des corps tendres et authentiques, sans apparat, aussi puissants que désarçonnés.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Prix No’Bell d’Élisabeth Bouchaud.
Festival Off Avignon
Avignon-Reine Blanche
16 rue de la Grande Fusterie
84000 Avignon
Du 3 au 21 juillet 2024 à 16h20, relâche les 8 et 15 juillet
Durée 1h15
T.C.H.E.K.H.O.V., d’après la vie et l’œuvre d’Anton Tchekhov.
Festival OFF Avignon
La condition des soies
13 Rue de la Croix
84000 Avignon.
Du 2 au 21 juillet 2024 à 11h45, relâche les 8 et 15 juillet.
Durée 1h20.