Robin Ormond © Camille Huguenot
Robin Ormond © Camille Huguenot

Robin Ormond, Marivaux à l’os 

À la Scala-Provence, le dramaturge et metteur en scène, passé en 2022 par l’académie de la Comédie Française, reprend, avec ses camarades de promo, le spectacle de sortie, qui entrelace deux œuvres du célèbre auteur. 

Robin Ormond : Ce projet est né dans le cadre de l’académie de la Comédie-Française, comme spectacle de fin de saison avec le reste de l’académie, les comédiens, la scénographe et le costumier. Je cherchais à tout prix un matériau basé sur la jeunesse, celle qui se plaît à expérimenter pour se découvrir, quitte à se blesser et à se perdre en chemin. Marivaux était tout indiqué. J’ai choisi L’Épreuve, car cette pièce réunissait à mon sens toutes les folies du dramaturge, ses jeux insensés, sa vivacité langagière unique et son regard attendri sur les maux que l’on est prêt à s’infliger dans la quête d’une réponse à propos de soi-même et des autres. Une réponse qui n’en est jamais réellement une, car elle déclenche toujours un autre questionnement, une déception ou un étonnement.

L'Épreuve, librement adaptée de Marivaux, mise en scène de Nicolas Ormond © Hugues Duchêne
© Hugues Duchêne

Robin Ormond : En lisant le reste du corpus de Marivaux, je me suis rapidement rendu compte que tous les personnages, au-delà d’être des types qui se déclinent de pièce en pièce, pouvaient également être des frères, des sœurs, des cousins, des cousines ou des fantômes des uns et des autres. Ces correspondances individuelles ont formé une question dans mon esprit : quelle raison pousse réellement le Lucidor de L’Épreuve à inventer un jeu si cruel autour d’Angélique ? S’agit-il vraiment de savoir si elle en a après lui ou son argent, ou se cache-t-il derrière cette interrogation quelque chose de plus profond, de plus existentiel ? J’ai trouvé dans La Dispute un début d’explication, un arrière-plan, une cicatrice pour Lucidor et les autres personnages de L’Épreuve, expliquant pourquoi ils ne pouvaient exister ou désirer sans se soumettre à des expérimentations les uns envers les autres, plus ou moins cruelles. La Dispute fait donc en quelque sorte office de biographie aux personnages de L’Épreuve.

Robin Ormond : Nous nous sommes bien sûr d’abord appliqués à lire avec attention les deux œuvres, à en tirer les fils dramaturgiques tous ensemble pour créer notre propre monde autour d’elles. Puis le travail de réécriture a pu commencer. Chacun a pu me raconter des histoires, me faire part de pensées, d’idées, de choses vues ou entendues, correspondant plus ou moins aux pièces ou aux perceptions que chacun.e en avait. Tout ceci a constitué un premier terreau de réécriture.

Robin Ormond : En effet.

L'Épreuve, librement adaptée de Marivaux, mise en scène de Nicolas Ormond © Hugues Duchêne
© Hugues Duchêne

Robin Ormond : J’ai sans doute été extrêmement biberonné au principe de la réécriture. Après six ans de travail auprès de Simon Stone, j’ai pu voir quelle importance cette forme d’écriture revêtait pour moi et pour le spectacle vivant, afin de se départir de sa dimension muséale, d’éviter ce qui crée une habitude, un réflexe, une réaction. C’est pour moi aussi une épreuve consistant à rester fidèle à un auteur que j’admire, tout en essayant de le tirer vers le présent, en le nourrissant de ce que de jeunes personnes d’aujourd’hui ont à en dire ou à en montrer, plus ou moins prosaïquement. Il me semble que tout a déjà été dit, mais pas encore par tout le monde. 

Robin Ormond : Il fallait que la forme visuelle coïncide avec ce qui était raconté. Ainsi cette tulle présente à l’avant-scène évoque d’abord assez frontalement un écran à travers lequel le Prince observe ses « petites machines », les enfants qu’il éduque et sur lesquels il expérimente dans La Dispute. Ce voile doit constituer un espace de projection pour les personnages, leur présent et leurs souvenirs, mais également mettre celui qui regarde dans la position du voyeur, de celui qui épie quelque chose qu’il n’est pas censé voir ou entendre. J’aime énormément cet instant où l’on peut avoir la sensation d’être du mauvais côté du plateau. C’est ce trouble que j’essaye d’exploiter visuellement en créant un flou formel, moral, accompagnant la chronologie très morcelée du spectacle, ses brisures temporelles et spatiales, ses allers-retours fragmentaires et chaotiques à l’image du flot de conscience des personnages et de leurs parcours, dans le but de percevoir de quelle manière une forme d’empathie peut néanmoins naître malgré la mise à distance que provoque cet élément scénographique.


L’Épreuve, librement adapté de Marivaux
Festival off Avignon
La Scala Provence
3, rue Pourquery de Boisserin
84000 Avignon
du 6 au 10 juillet 2024 – relâche le 8 juillet 2024
à 13h40
Durée 1h20

Adaptation et mise en scène de Robin Ormond
Avec Sanda Bourenane (Angélique et Une employée), Vincent Breton (Blaise et Un employé), Olivier Debbasch (Frontin), Yasmine Haller (Lisette et Une invitée), Alexandre Manbon (Lucidor) et les voix de Nicolas Chupin et Séphora Pondi de la Comédie-Française
Costumes de Clément Desoutter
Scénographie, lumière de Nina Coulais
Création sonore de Tom Beauseigneur
Dramaturgie de Laurent Muhleisen

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