Docteure en histoire moderne de l’EHESS, Suzanne Rochefort est agrégée d’histoire et ancienne élève de l’ENS de Lyon. Sa thèse de doctorat, sous la direction de l’historien Antoine Lilti, avait comme sujet, Travailler sur le devant de la scène : le métier de comédien et de comédienne à Paris (années 1740-1799), et a reçu le prix Benabou d’histoire moderne décerné par la Chancellerie des universités de Paris en 2022. De ce travail universitaire, elle en a eu la très bonne idée de tirer un livre destiné à tous les passionnés d’histoire du théâtre : Vies théâtrales. Le métier de comédien à Paris entre Lumières et Révolution.
Public-Privé, une vielle et longue histoire
Jusqu’à l’Ancien Régime, seuls les Comédiens-Français (qui deviendra la Comédie-Française) et les Comédiens-Italiens avaient le droit de jouer. En 1759, un nommé Jean-Baptiste Nicolet ouvre un théâtre sur les boulevards, semant ainsi un désordre certain dans les usages. En 1791, en pleine Révolution, la liberté d’entreprise théâtrale est autorisée. À partir de cet instant, le théâtre devient accessible à l’ensemble du peuple. Le théâtre de foire, devenu celui du boulevard, prospère et attire des classes sociales qui jusqu’alors n’allaient pas au théâtre. Et les artistes dans tout ça ?
Une mise en lumière
Dans cette étude, Suzanne Rochefort montre combien le chemin a été compliqué pour faire comprendre que jouer la comédie, c’était un métier. Partant de rien — n’oublions pas qu’ils n’avaient même pas le droit à être enterré — les comédiens sont arrivés à cette reconnaissance qu’on leur connaît aujourd’hui.
On apprend beaucoup à la lecture de son ouvrage extrêmement documenté. Le marché du travail s’était ouvert, ces « travailleurs et travailleuses de la scène » ont commencé à gérer leurs carrières en dehors des institutions publiques. Les artistes de ces dernières ont vu d’un très mauvais œil ces concurrents. Les querelles de clocher et d’ego se sont renforcées. Les relations avec l’État en ont été modifiées. Il a fallu instaurer des règles, dont beaucoup sont encore de fait. Les acteurs ont fini par être reconnus en tant qu’artistes, mais aussi et surtout comme citoyens.
La théâtromanie
L’ouverture aux métiers de la scène a poussé la corporation à comprendre l’importance de l’apprentissage. Jusqu’à cette période, le métier s’apprenait sur le tas. Les enfants de la balle étaient des privilégiés. Puis les écoles ont ouvert. Et ainsi est vraiment né l’art dramatique !
Suzanne Rochefort aborde également la médiatisation du métier, avec la naissance d’une presse spécialisée, l’apparition du métier de critique, des gravures qui associent l’image au nom, des affiches et placards publicitaires. La notion de spectacle prenant forme, le public est à conquérir. Là encore, on retrouve des attitudes et des habitudes qui sont encore en usage !
Cet ouvrage, très sérieux et dense, est finalement assez accessible. Enfant du sérail par son grand-père (Jean) et ses parents (Sylvie Blotnikas et Julien), Suzanne Rochefort connaît fort bien son sujet et porte un regard bienveillant sur, comme les appelait Molière, ces « étranges animaux » que sont les comédiens. Un livre qui a toute sa place dans la bibliothèque des passionnés d’histoire du théâtre.
Marie-Céline Nivière
Vies théâtrales. Le métier de comédien à Paris entre Lumières et Révolution de Suzanne Rochefort
Édition Champ Vallon.
Date de parution le 15 février 2024.
552 pages
Format 15,5 x 24 cm
Prix 28 €.