Certaines pièces laissent surgir des souvenirs que l’on pensait enfouis sous tant d’autres. Ce sable, répandu sur la scène par Emmanuel Eggermont, dans About Love and Death, a instantanément fait remonter à la surface cette soirée de 1997 au théâtre de la Bastille. La découverte de Raimund Hoghe avec sa pièce Chambre séparée. Quel choc ! Quelle impression d’être en présence d’un artiste qui avait tant à nous dire.
C’est l’un des grands mérites de ce solo, patchwork magnifique de fragments de pièces revisités : faire émerger ces souvenirs que nous gardons au cœur. Une couverture de survie dorée, une paire d’escarpins, un drôle de bicorne en feutre…
Trois ans après la disparition du chorégraphe allemand avec lequel il a collaboré pendant une quinzaine d’années, Emmanuel Eggermont livre un solo en forme d’élégie à la mémoire de cet être cher. Légataire de ses œuvres chorégraphiques, il s’interroge sur la filiation dans le champ chorégraphique. Mettre ses pas dans ceux de son mentor avec un infini respect, mais aussi une soif de liberté, entremêler les matières chorégraphiques et les répertoires iconographiques et musicaux, les faire se répondre…
Une exigence qui donne des ailes
Pas question ici de feuilleter un catalogue. Le solo qu’il déroule avec une précision d’orfèvre ciselé dans chaque changement de vêtement, dans chaque déplacement au plateau jette des passerelles entre hier et aujourd’hui. Cette exigence pourrait le lester. Au contraire, elle lui donne des ailes. Il danse une mémoire vivante, mouvante, à aucun moment figée dans une gangue de tristesse ou une dévotion trop complaisante.
Imaginée comme une pièce donnant des clefs de lecture de l’univers artistique de Raimund Hoghe, ce solo a son identité propre qui le rend accessible à tous, y compris celles et ceux qui ignoreraient tout du travail du chorégraphe. La pièce est d’ailleurs précédée d’une conférence qui éclaire judicieusement la démarche. Les références sont à la fois lisibles quand on connaît les pièces et imperceptibles pour les autres. Le plus troublant est de sentir la présence du défunt au plateau, de le voir s’incarner par flashs dans le corps de son interprète.
Conscient que toute une génération de chorégraphes de danse contemporaine disparait progressivement, ce solo ouvre la réflexion sur la persistance dans le temps des œuvres du spectacle vivant, ainsi que sur la transmission. Légataire de ce précieux héritage, Emmanuel Eggermont s’en inspire et se l’approprie avec justesse. Hoghe citait souvent Maria Callas : « suivez votre propre chemin peu importe ce qu’il est, non pas dans la recherche d’un “easy applause“, mais dans l’expression du travail et des vrais sentiments ». Ce qui émeut aux larmes, c’est cette sincérité, l’humilité de cet immense interprète dans un monde où les egos, trop souvent, dominent. Cette filiation n’étouffe pas. Elle libère.
Claudine Colozzi
About Love and Death. Élégie pour Raimund Hoghe d’Emmanuel Eggermont
Vu le 7 juin 2024 au CCN de Tours dans le cadre du festival Tours d’horizons
Durée 75 mn
Tournée
15 juin au Théâtre de l’Échangeur, Bagnolet, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
20 et 21 janvier 2025 au théâtre de la Cité internationale dans le cadre du festival Faits d’hiver.
Concept, chorégraphie et interprétation d’Emmanuel Eggermont
Collaboration artistique de Jihyé Jung
Création lumière d’Alice Dussart
Régie sonore de Julien Lepreux
