Balkony - Pieśni Miłosne (Balcons - Chants d'amour) d’après L’Été de la vie de John Maxwell Coetzee et La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca - Krystian Lupa © Natalia Kabanow
© Natalia Kabanow

Lupa ralentit le temps au Printemps des comédiens

À Montpellier, le metteur en scène polonais juxtapose au plateau les œuvres de Federico Garcia Lorca et de J.M. Coetzee pour dresser, à sa manière contemplative, le portrait du rapport homme-femme.

Face public, une immense toile noire sur laquelle est projetée l’image d’un mur sans fenêtres, où seules quelques portes permettent de s’échapper. Nous sommes chez Bernarda Alba. Son mari vient de mourir et le deuil de huit ans est déclaré. Elle et ses filles n’ont plus le droit de sortir. Leur unique distraction : préparer le trousseau d’Angustias, l’aînée, la seule à hériter de son père. Mais cette rigueur de mœurs est loin de les satisfaire. Leur vie n’est pas à la fête, l’ennuie gagne et les hormones excitent leur appétit amoureux. Toutes ou presque n’ont d’yeux que pour Pepe El Romano, le beau fiancé.

L’intrigue est posée, le temps s’étire. Chacune attend son destin avec une résignation de façade. Si Adela, la plus jeune et la plus jolie, se rebelle, les autres n’en pensent pas moins. Mais dans ce huis clos imposé par une mère autoritaire qui, sous le regard de Krystian Lupa, a tout l’air d’une mère maquerelle, suspicions et trahisons vont bon train. La solidarité est loin d’être de mise. Seul le mal-être transpire à grosses gouttes. 

Balkony - Pieśni Miłosne (Balcons - Chants d'amour) d’après L’Été de la vie de John Maxwell Coetzee et La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca - Krystian Lupa © Natalia Kabanow
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Mû par l’envie de monter l’ultime pièce de Federico Garcia Lorca, mais jugeant difficile de l’ancrer dans le présent, le metteur en scène polonais fait le choix de la confronter avec L’Été de la vie de John Maxwell Coetzee, autoportrait littéraire posthume de l’auteur. Lorca évoque une société figée dont seule la mort permet de se libérer, Coetzee les errances dépressives d’un trentenaire dans une Afrique du Sud n’offrant que peu de liberté, tant l’Apartheid a laissé des traces. Et bien que les deux œuvres ne semblent rien avoir en commun, Krystian Lupa tisse des liens invisibles entre ces deux textes puissants.

Dans ces deux mondes différents en apparence, un seul point commun de taille, le patriarcat qui impose ses règles et ses lois aux femmes, comme toujours. Destins broyés, amours impossibles, chacun des destins féminins se voit empêché par ce mur omniprésent, cette chape de plomb. Emprisonnées dans leur rôle — mère, épouse, veuve, jeune fille bien comme il faut — elles luttent, en vain, pour ne pas être asphyxiées. 

Balkony - Pieśni Miłosne (Balcons - Chants d'amour) d’après L’Été de la vie de John Maxwell Coetzee et La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca - Krystian Lupa © Natalia Kabanow
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Avec poésie et lenteur, l’artiste polonais oblige le spectateur à ressentir dans sa chair cette suffocation, ce désœuvrement mortifère. Le temps s’étire à l’envi, le jeu virtuose mais freiné, bridé des comédiens impose cette décélération à contre-courant de nos vies modernes. C’est d’autant plus prégnant que la voix lente, lointaine de Lupa résonne dans la salle. Vivant le spectacle en direct, il chuchote quelques directives, répète quelques mots comme pour en ponctuer l’importance, chantonne. Chaque soir, il se laisse prendre au jeu de sa propre pièce. Déroutante pour les uns, énigmatique pour d’autres, cette présence auditive donne à l’œuvre un surplus d’âme, une singularité. 

Adapte d’un théâtre total, radical, il ne laisse la place à aucune compromission. Avec Balkony – Pieśni Miłosne (Balcons – Chants d’amour), il ne déroge pas à sa propre règle. Perdus dans les errances du maître, il s’avère difficile de suivre le fil de ses pensées, de comprendre où il veut en venir. Laissant une partie du public sur le carreau, hypnotisant les autres, Lupa n’a pas son pareil pour subjuguer et irriter. En évoquant ces amours étouffées, contrariées, il signe une œuvre déconcertante. Mais on ne peut en nier la beauté extatique. 


Balkony – Pieśni Miłosne (Balcons – Chants d’amour) d’après L’Été de la vie de John Maxwell Coetzee et La Maison de Bernarda Alba de Federico García Lorca, mise en scène Krystian Lupa
Spectacle en polonais, surtitré en francais
Printemps des Comédiens
Théâtre Jean-Claude Carrière
Domaine d’O
178 Rue de la Carriérasse 
34090 Montpellier
Jusqu’au 15 juin 2024
durée 4h30 avec entracte

Avec Anna Ilczuk, Andrzej Kłak, Tomasz Lulek, Michał Opaliński, Halina Rasiakówna, Piotr Skiba, Ewa Skibińska, Janka Woźnicka, Wojciech Ziemiański, Marta Zięba ainsi que Ola Rudnicka et Oskar Sadowski
Mise en scène, scénographie et lumières de Krystian Lupa
Texte 
L’Errance d’Adèle d’Anna Ilczuk
Costumes de Piotr Skiba
Assistanat à la mise en scène et collaboration artistique – Oskar Sadowski
Musique de Wladimir Schall
Vidéo de Przemek Chojnacki  (Yanki Film) et Nikodem Marek (Papaya Roster)
Traduction française et adaptation des surtitrages – Agnieszka Zgieb

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