Laurent Terzieff disait : « faire du théâtre, c’est se mettre à l’écoute du monde pour en être la caisse de résonance ». Dans Femme non rééducable, cette phrase prend tout son sens. La voix de la très tenace reporter Anna Politovskaïa s’est tue, mais Poutine est toujours là, et les journalistes et les opposants au régime sont encore en danger. Désormais, la guerre en Ukraine a pris place… et c’est par devoir de mémoire que Caroline Rochefort a eu le désir de faire entendre les mots de cette cette femme brillante et généreuse.
Une parole citoyenne
C’est à l’occasion du festival Paroles Citoyennes organisé par Jean-Marc Dumontet que nous avions découvert ce spectacle. Si la peinture était toute fraîche, nous percevions toute la puissance d’une pièce dans laquelle les images fortes du texte apparaissent comme dans un reportage. S’appuyant sur une très belle et ingénieuse scénographie de Stéphane Duclot, la mise en scène de Tadrina Hocking est impeccable. Gardant le rythme des chapitres, dont les titres sont projetés en fond de scène à chaque changement, les événements défilent. Chronologiquement, ils mènent à la terrible finalité : la mort de la journaliste dans son hall d’immeuble, le jour de l’anniversaire de Poutine.
L’auteur italien a pris le parti de se concentrer sur l’intériorité et les perceptions de la journaliste mais aussi de la femme, en retraçant sa feuille de route, les derniers voyages en Tchétchénie, les derniers moments de sa vie. Tiré des écrits de la reporter, ce « mémorandum théâtral » fait entendre une parole qui s’élève contre les aberrations du système de la guerre, la dégradation des libertés publiques et la corruption dans l’ensemble de la Russie. Pour que les hommes puissent vivre libres et en harmonie, « il faut écrire la vérité, même si personne n’a envie de l’entendre ». Et par les temps qui courent, où l’on peut jouer sur les images et les mots pour transformer une fake news en une information, les journalistes ont du pain sur la planche — pourtant, depuis 2010, il n’y a jamais eu autant de journalistes tués et emprisonnés, comme le note Reporters sans frontières.
Au service d’une héroïne contemporaine
Caroline Rochefort est une comédienne solaire, qui a déjà brillé dans Changer l’eau des fleurs, pour lequel elle a obtenu une nomination dans la catégorie révélation féminine aux Molières 2022. Son interprétation d’Anna Politovskaïa sort des sentiers battus intellectualistes de la journaliste froide et cérébrale. Ainsi, la femme apparaît dans toute son humanité avec ses forces et ses failles : elle était aussi une mère qui avait peur pour ses enfants. L’actrice bouleverse par son jeu vibrant. À ses côtés, Pierre Berçot, dans une palette remplie de nuances, personnifie plusieurs personnages. Ce spectacle secoue et réveille les consciences. On en a bien besoin.
Marie-Céline Nivière
Femme non-rééducable de Stefano Massini
Festival Off Avignon
Théâtre du Balcon
38 rue Guillaume Puy
84000 Avignon
Du 29 juin au 21 juillet 2024, à 18h25, relâche les jeudis
Durée 1h15
Traduit de l’italien par Pietro Pizzuti
Mise en scène de Tadrina Hocking
Avec Pierre Berçot et Caroline Rochefort
Création lumière de François Leneveu
Conception et création décor de Stéphane Duclot
Musique et son de Goyave
Costumes de Julia Allègre
