À quelques jours du solstice, l’été pointe son nez. Soleil et vent chaud sont au rendez-vous du festival de danse de la ville d’Uzès. Sous l’impulsion de sa directrice, Émilie Peluchon, dont c’est la deuxième édition, la manifestation, résolument éclectique, invite les spectateurs à aller à la rencontre de la diversité de la danse aujourd’hui. Du néo-classique à l’urbain en passant par le folklorique ou le populaire, la programmation de ce cru 2024 a de quoi satisfaire tous les appétits.
Après l’énormissime R.osa de Silvia Gribaudi qui a ouvert le bal mercredi soir, et avant de se laisser séduire par la proposition décapante de Ruth Childs, Blast !, celle tout en sensibilité de Nicolas Fayol, Faire fleurir, ou celle introspective de Julien Andujar, Tatiana, place à la création de l’artiste associée du lieu, Marion Carriau. À l’ombrière, en périphérie de l’hyper-centre d’Uzès, la chorégraphe plonge dans sa propre histoire familiale afin de questionner les mythes qui nous construisent et sculptent nos corps.
L’ombre de l’Amiral
Il y a la légende, lointaine, fantasmée : ce militaire, à qui on aurait érigé une statue à Toulon, cet aventurier des mers, mort pour la France lors de la Première Guerre mondiale. Et il y a la réalité, forcément tout autre. Ces divergences, qui ont fait l’objet d’une longue enquête historique, généalogique et un brin mystique, Marion Carriau s’en sert de terreau pour imaginer un trio qui se joue des mythes et réinvente de manière burlesque la figure du héros.
D’une première image à contre-jour qui laisse entrevoir la beauté d’un objet ouvert à toutes les interprétations, la chorégraphe tisse des récits contrastés d’étranges créatures, mi-humaines, mi-saugrenues. Apparaissant comme par enchantement, comme éclos d’une masse cristalline qui sert d’unique décor, l’un après l’autre, les trois interprètent habitent le plateau. Tapant du pied, grimaçant, sautillant comme des cabris ou dessinant par le mouvement de leur corps des figures géométriques, ils décalent cette sorte d’impromptu chorégraphique vers une dimension poétique autant que farfelue. Hagards, comme dépassés par leur propre corporalité, Yannick Hugron, Clémentine Maubon et Maeva Cunci insufflent la vie à cet Amiral Sénès dont le spectre semble apparaître en filigrane.
Fraternité de la danse
Au jardin de l’évêché, reprenant la chorégraphie hyper efficace du regretté Ousmane Sy, sept danseuses, toutes championnes de battle et membres du groupe Paradox-Sal (groupe d’afro-house exclusivement féminin) s’emparent du plateau avec fièvre et fougue. Les conversations vont bon train et les spectateurs ne sont pas installés que déjà le ton est donné. Beats et flow électro s’envolent dans les airs et transforment la scène à ciel ouvert en clubbing ultra « ambiancé ». Combattantes, guerrières des nouveaux temps, leur arme est leur corps ondulant, leur virtuosité technique, leur capacité à surfer sur les vibes.
Alternant solos, battles et danse de groupe, la partition de Queen blood est tout en fluidité et en énergie. Jamais le souffle ne retombe. On est invités à slalomer entre house, krump, voguing et hip-hop. Voulu ainsi par Ousmane Sy, mort brutalement peu de temps avant la première, ce spectacle touche à l’humain, à l’absolu nécessité de faire ensemble. Atteignant son acmé lorsque la voix de Nina Simone entonnant Four Women s’élève et que le mouvement se fait plus lent, l’œuvre fonctionne à toute berzingue et c’est debout que le public accueille cette performance sans fausse note !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Uzès
Festival La Maison Danse CDCN
2 Place aux Herbes
30700 Uzès
du 5 au 9 juin 2024
L’Amiral Sénès de Marion Carriau
Conception – Marion Carriau
avec Yannick Hugron, Clémentine Maubon, Maeva Cunci
Création lumière de Magda Kachouche
Composition de Valentin Mussou
Scénographie de Rémy Ebras
Création costumes d’Alexia Crisp Jones assistée de Ludivine Maillard
Assistante – Hyacinthe Hennae
Regard extérieur – Alexandre Da Silva
Régie son d’Arnaud Pichon
Travail vocal – Elise Chauvin et Jeanne-Sarah Deledicq
Queen Blood d’Ousmane Sy
7 interprètes parmi Allauné Blegbo, Cynthia Casimir, Megan Deprez, Selasi Dogbatse, Valentina Dragotta, Dominique Elenga, Nadia Gabrieli Kalati, Linda Hayford, Nadiah Idris, Odile Lacides, Audrey Minko, Stéphanie Paruta
Lumières de Xavier Lescat
Son et arrangements d’Adrien Kanter
Costumes d’Hasnaa Smini
