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Marta Izquierdo Muñoz en roue libre pour Montpellier Danse

Après Flip créé en avril dernier, l'artiste madrilène présentera deux nouvelles créations sur roulettes dans le cadre du 44e festival Montpellier Danse, avant de faire un tour à Paris au Carreau du Temple : Roll et Roller Derviches.

Marta Izquierdo Muñoz : Je suis arrivée à la danse presque par accident. À l’époque où j’étais captivée par les mouvements et les différentes pratiques, la danse à Madrid était considérée comme un luxe. Il fallait se payer des cours privés, ma famille n’avait pas de moyens incroyables. Du coup, j’avais un peu esquivé la question de faire la danse à cause de ces problèmes économiques. J’avais une pratique avec des copains et copines de boîte de nuit, de flamenco, dans la rue… Vers vingt-et-un ans, j’ai décidé de faire des études de psychologie. Quelques mois plus tard, je me dis que ce n’est pas du tout pour moi, que le système universitaire ne me convient pas. À l’université, j’ai croisé un danseur assez âgé qui m’a dit qu’il allait démarrer des cours de danse classique avec la compagnie nationale. Je ne savais pas qu’il était possible de commencer si tard. Et je l’ai fait, c’est lui qui m’a amené à mon premier cours de danse classique et je suis restée. Ça m’a bien convenu cet endroit, cet espace, je me suis éclatée à fond, j’ai trouvé mon compte et j’ai commencé à pratiquer toutes les danses : classique, urbaine, jazz… Et je suis arrivée à la danse contemporaine.

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Marta Izquierdo Muñoz : Même si j’ai touché à plein de styles différents, c’est sur la danse contemporaine que je me suis professionnalisée. Et c’est sur la recherche aussi, sur le mouvement, que je me suis consacrée et focalisée. C’est comme pour ce spectacle Roll dont nous parlerons après, qui questionne des pratiques, des groupes, des communautés… Tout ça sous l’angle de la recherche et de la danse contemporaine.

Marta Izquierdo Muñoz : La genèse de ces trois projets, qui sont devenus des projets différents et autonomes, c’est les années 1980 à Madrid, bien avant que je pratique la danse de manière professionnelle. Je viens de Carabanchel, un quartier avec beaucoup de problèmes sociaux. Il y avait aussi la grande prison de Madrid avec plein de prisonniers politiques, notamment du franquisme. On était juste après la dictature franquiste. Franco est mort en 1975 et je chausse mes premiers patins à roulettes dans les années 1980. C’est le moment où l’Espagne commence à s’ouvrir un tout petit peu vers l’extérieur, après cette dictature fasciste. Et les premières choses qui nous arrivent de l’extérieur, c’est les États-Unis : le cinéma, le hula-hoop, les rollers, la musique.

Ces années étaient très ambiguës, parce qu’on nous disait que la dictature était finie, mais on vivait encore sous son emprise. Les choses n’avaient pas changé tant que ça. On nous disait qu’on était déjà dans une démocratie, que les choses allaient changer, mais ce n’était pas encore ça. C’était assez difficile de vivre une fausse démocratie, ou un essai de démocratie avec un roi, de sentir que la société n’a pas changé et qu’on est toujours sous l’emprise de cette mentalité et de l’Église catholique. C’était très difficile pour beaucoup de raisons, notamment pour une femme qui essaye de développer des pratiques sportives, de la danse ou simplement pour exister comme une femme. J’ai dû me battre pas mal dans ce sens-là. Et quand j’ai chaussé mes rollers, je me suis sentie assez forte. J’ai commencé à rouler, je pratiquais la vitesse. C’était en solo, à cette époque-là, avec mon casque, ma musique, de manière complètement autocentrée.

Et je me rappelle très bien, j’avais l’impression de partir ailleurs, à cause de cette manière de tourner, de la vibration, de tout ce que la pratique des rollers apporte au corps. J’avais l’impression qu’avec ça, j’avais la force de me battre contre quelque chose, contre le contexte, clairement. Et en même temps, j’avais l’impression de partir ailleurs, de me dire que je pouvais chercher une autre manière d’exister dans le monde et partir de ce quartier, de cette Espagne encore post-franquiste. Ça, c’est l’expérience commune des trois projets, mais chacun est différent.

© Les Films de la Villeneuve

Marta Izquierdo Muñoz : Oui. Roll, ce sera une fiction et Roller Derviches, c’est vraiment un travail documentaire autour de Roll. Roll, c’est un projet sur une communauté de joueuses de roller derby. C’est un groupe très hétérogène avec quatre femmes et un homme qui incarnent des joueuses de roller derby. Même cet homme. L’intention, c’est aussi d’ouvrir les possibilités des idéologies féministes qui voudraient se resserrer sur l’identité féminine. Si on veut vraiment lutter pour le féminisme, il faut qu’on élargisse, qu’on écoute certains hommes qui sont vraiment féministes et qui soutiennent ce mouvement-là. Pour moi, c’est très important.

La question de la féminité est beaucoup plus large que l’être féminin. Et finalement mon projet ne parle pas du roller derby tel quel. Ce qui m’intéresse, c’est l’esprit roller derby, dans lequel on se bat ensemble, un esprit de communauté et d’inclusion. Je fais le lien entre les années 1980 que j’ai vécues et l’actualité, puisque j’ai rechaussé mes patins après le Covid pour trouver à nouveau un peu de liberté et d’épanouissement. J’avais l’impression que dans ces années 1980, on allait vers quelque chose de positif, que la vie allait être meilleure, et actuellement on va vers un endroit qui n’est pas si lumineux que ces années-là. La dramaturgie de Roll se base beaucoup sur ce contraste entre les deux époques, on est dans cette tension-là. C’est un moment assez ambigu, on ne sait pas où on est. Je ne fais pas de projet politique, mais je suis obligée de ne pas passer trop vite sur certaines questions. Roll c’est aussi le dernier volet d’une trilogie sur les communautés féminines et ses pratiques, après Imago-go en 2018 et Guérrillères en 2020. Et Roller Derviches, c’est une manière de donner de la visibilité à toutes ces communautés roller derby que j’ai rencontrées autour du projet Roll.

Marta Izquierdo Muñoz : Le lien avec l’Espagne a toujours été très fort, je maintiens une relation avec mon pays. J’ai toujours mené mes pièces plus légères en Espagne, parce que c’est une autre économie et j’étais associée à différents lieux à Madrid et à Barcelone. Dernièrement, j’ai fait de vrais projets transfrontaliers. Par exemple, sur Dioscures, j’ai pris une équipe espagnole et française. Sur Yolo, j’ai pris des adolescents de Catalogne et des adolescents de Toulouse. Et pour Flip, on a déjà fait des résidences de création en Espagne et on va le diffuser dans les deux pays, comme Roll. Donc j’ai l’impression que ma propre vie artistique devient transfrontalière, j’aimerais bien développer ce lien entre les deux pays.

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Marta Izquierdo Muñoz : C’est super de pouvoir le présenter à Montpellier Danse, mais je pense que l’exigence est la même.

Marta Izquierdo Muñoz : C’est l’ensemble, en fait. Cette création est particulièrement difficile. Ça m’a pris beaucoup de temps, parce que ce sont des profils très particuliers, des interprètes qui pratiquent les rollers mais qui puissent se déplacer vers la danse. Ce ne sont pas juste des sportifs, mais aussi des gens qui ont l’habitude de travailler avec leur corps. C’était déjà assez exigeant en soi. Et c’est quand même une pratique à risque aussi, donc on est d’autant plus exigeant.

Marta Izquierdo Muñoz : C’est ça. C’est la première fois que j’ai fait cette démarche. Je trouvais ça trop risqué, je voulais qu’ils soient vraiment pros. Du coup, l’endroit où je les emmène, c’est vers la danse contemporaine et la recherche. Évidemment, je leur propose d’aller vers mon monde.

Marta Izquierdo Muñoz : Ça me plaît beaucoup, en tout cas, de proposer ça aux gens qui n’ont pas l’habitude de danser. La danse, c’est quelque chose de naturel, de toute manière. J’ai une vision assez démocratique de la danse. Ce n’est pas toujours facile, les gens qui ne dansent pas de manière professionnelle ont leur propre idée de la danse, leurs propres peurs aussi… Mais c’est un endroit qui m’intéresse.

Marta Izquierdo Muñoz : Tout à fait, ce sont des vraies joueuses de roller derby, donc elles maîtrisent leur lexique, c’est sur ça qu’on a travaillé. Et la question c’était comment, en peu de temps, je peux les amener vers une certaine notion de danse. Les liens avec la danse se font à travers une bande son, ça donne la sensation de que ça danse, le décalage est un peu ailleurs par rapport à Roll.


Roll – Création Montpellier Danse
Du 25 au 27 juin 2024
Théâtre La Vignette – Montpellier

Tournée
29 & 30 juin 2024 au Carreau du Temple dans le cadre du Festival Jogging

Roller Derviches – Création Montpellier Danse
Du 2 au 5 juillet 2024
Lieux divers

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