Des sons, des chants, des cris s’échappent des portes de la salle. Dispersés dans les allées, les gradins, les treize interprètes, juste vêtus de shorts satinés aux multiples couleurs et de brassières pour les danseuses, ont transformé l’espace en agora ou en rues animées du Mozambique. Certains portent des cordes, d’autre un pneu, un bout de bois, un sac de provision. La vie déborde de partout, inonde les lieux et embarque imperceptiblement les spectateurs vers un ailleurs fantasmé autant que réel. La rythmique les pieds qui frappent le sol, les mélopées sont autant d’invitations au voyage que de découvertes vers une culture lointaine, riche de sa polyphonie.
Notion de corps global
Formé au Mozambique, puis en Europe où il suit notamment les ateliers de l’école bruxelloise P.A.R.T.S, Idio Chichava a collaboré avec de nombreux artistes, dont Panaibra Gabriel, Thomas Hauert, David Zambrano et Frank Micheletti. De ce parcours éclectique, qui conjugue tradition et danse contemporaine, il a gardé le goût d’une mixité des formes et de l’hybridation des courants. Revenu s’installer dans son pays natal au moment de la crise du covid avec la volonté de mettre en place une formation et un enseignement gratuit pour les communautés locales et leur permettre ainsi de présenter dans les lieux publics leur création, il n’a de cesse de questionner le corps et ses interactions avec son environnement physique, psychologique et émotionnel.
Évoquant autant la migration intérieure des êtres que celle, géopolitique ou géographique, des Mozambicains, il esquisse une fresque humaine où corps et symbolique s’entremêlent. Revisitant les danses rituelles, et tout particulièrement celles du peuple Makondé, régulièrement frappé par des attaques terroristes, le chorégraphe déplace le regard, invite à voir au-delà de la tradition. Écrit en collaboration avec ses interprètes dans un souci de faire collectif, Vagabundus, qui évoque non sans humour autant le voyageur que le brigand et le sans-abri, se nourrit d’histoires personnelles et communes pour créer une performance où corps et voix deviennent indissociables.
Énergie mélancolique
Bien qu’extrêmement colorée et baroque dans sa forme, l’œuvre de Idio Chichava, présentée pour la première fois en Europe, n’en est pas moins mâtinée de gospels, de mélopées qui s’étirent dans le temps. Cette impression de temps suspendus, d’interminables litanies, donne à l’ensemble une dimension qui va bien au-delà du folklore. Festif dans l’énergie que les corps communiquent à la salle jusqu’à l’épuisement, le spectacle distille une ambiance de résistance permanente exprimée par ces corps tendus, ces gestes répétitifs, ces voix qui à l’unisson tissent des récits de vie ancrés dans un temps présent fortement morose.
De Bruxelles à Paris, en passant par Metz, Marseille et Luxembourg, Vagabundus n’a pas fini d’enflammer les festivals, séduire un public qui finit debout, transporté par cette performance communicative !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Bruxelles
Vagabundus d’Idio Chichava
Piéces pour 13 interprètes – création 2022
Kunstenfestivaldesarts
Le 140
140 avenue Eugène Plasky
1030 Schaerbeek
Durée : 1h10
Tournée
22 et 23 mai 2024 à l’Atelier de Paris-CDCN dans le cadre du festival June Events
25 mai 2024 au Passages Transfestival, Metz
5 juin 2024 aux Théâtres de la Ville du Luxembourg, Luxembourg
7 et 8 juin 2024 au Paris Dance Project, Paris
10 juin 2024 au Théâtre Paris-Villette dans le cadre du festival Générations
14 juin 2024 au Théâtre Joliette, Marseille, dans le cadre des Rencontres à l’Échelle
Concept et chorégraphie d’Idio Chichava assisté d’Osvaldo Passirivo
Avec Açucena Chemane, Arminda Zunguza, Calton Muholove, Cristina Matola, Fernando Machaieie, Judite Novela, Mauro Sigauque, Martins Tuvanji, Nilégio Cossa, Osvaldo Passirivo, Patrick Manuel Sitoe, Stela Matsombe &Vasco Sitoe
Lumière de Phayra Baloi