Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione d’Anne Teresa De Keersmaeker, et Radouan Mriziga © Anne van Aerschot
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ATDK et Radouan Mriziga mettent sens dessus-dessous « Les Quatre Saisons » de Vivaldi

Dans le cadre du Kustenfestivaldesarts de Bruxelles, avant d’entamer une tournée européenne qui passera par le festival de Marseille et Montpellier danse, la cheffe de file de la danse contemporaine flamande crée à domicile avec l’un de ses anciens élèves de l’école P.A.R.T.S.

Qui ne connaît pas Les Quatre saisons de Vivaldi ? Tube interplanétaire de la musique baroque, tellement galvaudé qu’on l’entend un peu partout, dans les ascenseurs ou sur le répondeur des institutions. En revisiter les lignes rondes, les envolées lyriques et les arias fougueuses pour en offrir une autre lecture, plus en adéquation avec la crise climatique que nous traversons, relève de la gageure. Anne Teresa De Keersmaekeer (ATDK), plus habituée à l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, et son acolyte Radouan Mriziga se jette dans l’aventure avec poésie, conviction et quelques notes d’humour bienvenues, évoquant à la fois la nostalgie d’une époque révolue où l’homme prenait soin de la nature et l’annonce d’une catastrophe à venir. 

Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione d’Anne Teresa De Keersmaeker, et Radouan Mriziga © Anne van Aerschot
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Ballet apocalyptique et aseptisé de néons, gestes exécutés dans un silence assourdissant, les deux chorégraphes belges ont imaginé un prologue à leur folle ronde des saisons tout en abstraction et ellipse conceptuelle. Au sol, on retrouve bien, comme avant, des lignes, des diagonales, des cercles dessinés, les deux artistes partageant un goût particulier pour la géométrie et l’arithmétique. Mais ce n’est qu’une fausse piste, une diversion. C’est ailleurs qu’Anne Teresa De Keersmaeker et Radouan Mriziga embarquent le public, dans une danse toute en équilibre fragile, en effondrement maîtrisé — ou non. 

Déconstruisant la chronologie musicale, fragmentant les airs de Vivaldi, les deux artistes tissent leur récit chorégraphique sur une ligne de faille : celle du dérèglement climatique, laquelle, en filigrane, instille dans le mouvement ses débordements et ses chamboulements imprévisibles. Si l’on reconnaît les déliés, les ports de bras tendus, les tracés au cordeau si emblématiques du style Keersmaeker, on se laisse surprendre par une grammaire plus souple et plus ronde qu’à l’accoutumée. Au contact de son ancien élève passé par le break dans sa jeunesse, ainsi que des danseurs, chacun desquels imprimme à sa partition un peu de lui et de son parcours, l’écriture d’ATDK perd en précision millimétrique ce qu’elle gagne en hybridation de styles et en ouverture sur les nouveaux courants qui régénèrent la danse contemporaine. Un changement de cap fascinant, dont on avait déjà aperçu les belles prémices dans le très réussi Exit Above, l’an passé à Avignon. 

Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione d’Anne Teresa De Keersmaeker, et Radouan Mriziga © Anne van Aerschot
© Anne van Aerschot

L’automne, l’hiver, l’été, le printemps cavalcadent tels des chevaux sauvages. Des neiges éternelles propices au ski aux chaleurs accablantes de juillet incitant les corps à s’effeuiller lourdement, ATDK et Radouan Mriziga convoquent l’imaginaire des spectateurs, les embarquant dans une farandole cadencée où plus rien ne va de soi et tout est par-dessus tête. Parfois le rythme retombe, l’ennui gagne, mais aussitôt le climat et la danse s’emballe. Solos ou pas groupés, le duo retrouve les nerfs de la guerre, l’espoir que la fatalité environnementale s’enraye, que demain ne soit pas aussi noir qu’attendu. 

Extrêmement riche et dense, tant en orthographe chorégraphique qu’en sujets abordés, Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventionetitre tiré d’un ensemble de douze concerts écrits par Antonio Vivaldi et publiés en 1725, et dont Les Quatre saisons sont les premières œuvres présentées, est à l’image du monde d’aujourd’hui : chaotique, passionnant et inattendu. Il y a des longueurs, certes, et le souffle retombe un peu trop souvent. Mais la nouvelle création d’Anne Teresa De Keersmaeker résonne parfaitement avec les inquiétudes du monde et touche au cœur d’un public, qui se lève à l’unisson pour saluer la performance des quatre interprètes, tous forts d’une présence incandescente, ainsi que l’engagement d’une artiste incroyable !


Il Cimento dell’Armonia e dell’Inventione d’Anne Teresa De Keersmaeker, et Radouan Mriziga/ Rosas, A7LA5
Rosas Performance Space
Kunstenfestivaldesarts de Bruxelles 
Av. Van Volxem 164
1190 Forest
du 17 au 31 mai 2024
Durée 1h30 

Tournée
18 et 19 juin 2024 au 
Concertgebouw Brugge – Bruges, Belgique
28 et 29 juin 2024 au 
ZEF – scène nationale de Marseille, Festival de Marseille – Marseille, France
01 et 02 juillet 2024 à l’
Opéra Comédie, Montpellier Danse – Montpellier, France
19et 20 octobre 2024 au 
Haus der Berliner Festspiele, Berliner Festspiele – Berlin, Allemagne
27 au 30 novembre 2024 au 
DE SINGEL – Anvers, Belqique

Chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker, Radouan Mriziga
créé avec et dansé par Boštjan Antončič, Nassim Baddag, Lav Crnčević, José Paulo dos Santos
Musique d’Antonio Vivaldi, Le quattro stagioni, version d’Amandine Beyer, Gli Incogniti Alpha Classics/Outhere Music 2015
Analyse musicale d’Amandine Beyer
Scénographie et lumière d’Anne Teresa De Keersmaeker et Radouan Mriziga
Costumes d’Aouatif Boulaich
Direction des répétitions – Eleni Ellada Damianou

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