Amours chimique de Corentin Hennebert et Joseph Wolsohn © Claudia Bleandonu-Berberian
© Claudia Bleandonu-Berberian

Avec « Amours Chimiques », le chemsex s’invite sur scène

Les Adelphes de la Nuit proposent au Lavoir Moderne Parisien un spectacle où addiction et désir s'entremêlent. Un récit initiatique éclairant qui occasionne de jolis tableaux.

Support idéal pour les paniques morales, le chemsex reste une pratique sexuelle à risque méconnue. Cette association de l’activité sexuelle à la consommation de stupéfiants concerne de plus en plus de HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes) depuis le confinement. C’est sur cette pratique qu’Amours Chimiques entend apporter un éclairage. Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn tracent alors le portrait d’un jeune homosexuel parisien, Candide (Tao Dersoir), qui, en quelques semaines à peine bascule dans l’addiction.

Amours chimique de Corentin Hennebert et Joseph Wolsohn © Guillaume Colrat
© Guillaume Colrat

Quand il rencontre Ilyes (Frederic Dietz), Candide ne sait rien du chemsex. Il ne sait rien de l’euphorie vertigineuse des premiers instants, rien du voile opaque qui l’accompagne pendant de longues redescentes. Candide n’a pas idée de l’isolement qui règne jusque dans les partouzes, cet isolement qui reste ensuite et s’intensifie à mesure qu’autour tout perd en substance. 

Alors qu’il gagne en expérience et cumule les partenaires, le jeune homme perd aussi de vue son cercle d’amis, sa vie étudiante, sa famille. Ses parties de sexe s’éternisent, des jours durant, alors que son avenir s’obscurcit. Bientôt elles sont à la fois la cause et le seul échappatoire de cette situation.

À travers une série de tableaux particulièrement visuels, Amours chimiques brosse une large fresque où la frange masculine de la communauté LGBTQIA apparaît aventureuse, isolée, vulnérable. La pièce donne alors à voir quelques fragments de la réalité de travailleurs du sexe, de personnes trans, de jeunes homosexuels et bisexuels et des travailleurs sociaux qui les accompagnent.

Rarement (si ce n’est jamais) représenté sur scène, même quand il est question de la communauté gay, le chemsex concernerait pourtant une grande partie du milieu. 3 à 5% de la population française serait concernée. Ces addictions, largement associée à une sexualité entre hommes historiquement marquée par la clandestinité, restent peu prises en charge, de nombreux addictologues ne saisissant pas les spécificités de ces accoutumances. Ce qui se joue pourtant à travers le chemsex, ce sont les risques liés à l’absence de consentement éclairé, aux problématiques de santé mentale et évidemment à la possibilité d’une overdose.

Dans l’ombre des représentations hégémoniques, Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn imaginent alors un spectacle où pédagogie et poésie se répondent. Comme un écho à la fable de Voltaire auquel le personnage doit son prénom. Dans ce récit initiatique aux allures de montagnes russes, c’est toute la solitude d’une communauté qui se dessine en creux. Est-il encore question de pratiques à risque quand on n’a plus rien à perdre ? S’agirait-il d’un problème de santé public si hétérosexuels étaient largement concernés ?

Amours chimique de Corentin Hennebert et Joseph Wolsohn © Claudia Bleandonu-Berberian
© Claudia Bleandonu-Berberian

Pour traiter ce sujet, particulièrement pesant, la pédagogie s’impose car les applications de rencontres sexuelles comme Grindr s’avèrent jargoneuses (« plan perché », « lope »…). Heureusement, le spectacle parvient à garder un double lecture où initiés et grands publics peuvent se retrouver.

En un sens, Amours Chimiques est un spectacle communautaire. Il met en lumière des groupes sociaux peu représentés et tente d’opérer, à son échelle, un processus de réparation. Mais dans les situations qui sont développées et les tableaux qu’elles permettent de présenter, la pièce trouve une résonance bien plus large.

À cette communauté dont la construction identitaire semble alors indissociable de la liberté sexuelle qu’elle revendique, Amours Chimiques offrent de formidables séquences chorégraphiées dont jaillissent des émotions et des images d’une inventivité précieuse. À travers quelques courts monologues, les deux auteurs distillent aussi d’admirables fulgurances.

C’est aussi la flamboyance qui ancre la pièce dans un univers queer où drag, répartie bien sentie (sass) et soirées en club ne sont jamais bien loin. Un personnage polymorphe déambule d’ailleurs d’un tableau à l’autre et insuffle un peu d’irréel à ce récit que la pédagogie aurait sans doute pu alourdir. Ce petit démon sur l’épaule de Candide pourrait aisément donner la réplique à l’ange de Tony Kushner dans Angels in America. La pièce imagine cette figure qui a tout du « queer coded vilain » (les méchants délibérément efféminés dans les films) dans son milieu naturel. Ce sont ces pas de côté vis-à-vis du réalisme de la narration qui matérialisent aussi les sentiments du personnage, comme un artifice pour placer le public dans sa tête.

S’il arrive que l’on perde de vue ce personnage-fil rouge au profit d’autres thématiques, que parfois la direction artistique se cherche un peu (notamment avec cet écran, finalement superflu) ou que certaines transitions traînent un peu, Amours Chimiques a le mérite de défricher tout en restant un objet artistique singulier.

Marquée par ces tableaux vivants grâce auxquels le récit respire, la pièce offre une représentation salvatrice. Son propos alarmant n’est pas qu’un geste artistique pour lui-même, il est une main tendue vers l’autre. Même si on peut reprocher au spectacle la surreprésentation de corps sculptés, la minorité visible de la communauté, la pièce reste un miroir pour regarder la réalité en face. Des étreintes à l’entraide, c’est une réflexion éloquente sur les désirs et sur le soin qui est portée par une jeune équipe prometteuse.


Amours chimiques de Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn – Les Adelphes de la Nuit
Prix du Public PROPULSION 2023 créé par LES PLATEAUX SAUVAGES et LE REGARD DU CYGNE et la Mairie du 20ème arrondissement de Paris.
Lavoir Moderne Parisien
35, rue Léon
75018 Paris
.
Du 15 au 19 mai 2024.

Écriture et mise en scène Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn
Avec Tao Dersoir, Frédéric Dietz, Corentin Etienne, Maël Leurele, Samsy Missamou, Valentin Nerdenne, Wedia Pendje, Joseph Wolfsohn
Chorégraphies Joseph Wolfsohn
Costumes Jibé Assey
Lumières James Forgeard
Vidéos Loïs Douady
Régie Ruben Veau

Quelques numéros importants :
Association AIDES : 07 62 93 22 29, une ligne d’écoute dédiée au chemsex sur WhatsApp.
Drogues Infos Services : 0 800 23 13 13
Numéro National de Prévention du Suicide : 3114

Teaser d’Amours chimiques de Corentin Hennebert et Joseph Wolfsohn © Les Adelphes de la Nuit

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