Sur un plateau posé sur vérin, sorte de ring de boxe instable, deux hommes se font face. L’un est très casual, dans son attitude comme dans sa vêture, l’autre tout en élégance racée. Entre eux, la tension est palpable. Elle est à la fois tendre, sexuelle, acerbe et désabusée. Après plusieurs années de vie commune, John (Philipp Alfons Heitmann) semble perdu. Peu sûr de lui, hésitant, il ne se reconnaît plus dans leur couple, leur manière de vivre, le ton souvent sarcastique et très assuré que son cher amour, M (Tom Leick-Burns), prend en toute circonstance. Tels des coqs, ils s’affrontent verbalement, chacun alternant coups bas et mots caressants.
À l’origine de cette crise, un événement : la rencontre avec W (Elisabet Johannesdottir), une jeune femme à l’esprit ouvert et curieux. Pétillante et pleine de vie, elle affole son compteur émotionnel et remet en question son identité sexuelle. Est-il attiré par elle ? Certainement. Mais bien au-delà de cette pulsion, de ce désir charnel, se noue entre eux une relation tout en confiance et complicité. En aime-t-il moins son compagnon de longue date ? Rien n’est moins sûr. Au-delà du genre et de l’attirance physique, Mike Bartlett questionne notre capacité à dépasser les normes et les cases préétablies. Pourquoi choisir son camp, s’enfermer dans un schéma qu’impose la société, le communautarisme et le regard des autres ? Est-ce que l’étiquette gay, hétéro, bi, lesbienne ou genderfluid doit impérativement conditionner nos actes, que ce soit en public ou dans l’intimité ?
Échos aux interrogations sociétales d’aujourd’hui
Écrite en 2009 et auréolée d’un Oliver dans la foulée, Cock n’a quasiment pas pris une ride. Les thématiques abordées et la manière dont il les traite restent d’actualité, à l’air de cette génération Z qui cherche à s’affranchir de toute binarité de genre et de toute tradition hétéronormée. John, son personnage principal, n’est certes pas aussi radical dans sa pensée, mais refuse d’être étiqueté et rêve de pouvoir aimé une personne n’ont pour son sexe, mais bien pour sa personnalité.
S’appuyant sur les lumières en clair-obscur de Fränz Meyers et la scénographie épurée et mouvante d’Anouk Schiltz, la Luxembourgeoise Anne Simon offre un écrin ingénieux et contemporain le propos de Mike Bartlett. Plaçant ses comédiens et sa comédienne sur une scène qui s’incline et déstabilise en permanence les équilibres et les rapports de forces entre les personnages, elle dynamise sa mise en scène et déplace la comédie sulfureuse vers une tragi-comédie psychologique captivante. Les jeux des comédiens, ciselés avec justesse et ce qu’il faut d’extravagance, en souligne l’habileté. Ni pathos, ni vulgaire, malgré un titre — souvent escamoté sur les affiches outre-Atlantique —, Cock touche avec justesse et invite à réfléchir sur nos propres aptitudes à sortir du placard dans lequel notre éducation nous a cloîtrés !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Luxembourg
Cock de Mike Bartlett (spectacle en anglais)
Les théâtres de la Ville de Luxembourg
Théâtre des Capucins
9 Place du Théâtre, 2613 Ville-Haute Luxembourg
Du 14 au 24 mai 2023
Mise en scène d’Anne Simon, artiste associée aux Théâtres de la Ville de Luxembourg
Assistant à la mise en scène Maximilien Ludovicy
Avec Elisabet Johannesdottir, Philipp Alfons Heitmann, David Calvitto, Tom Leick-Burns
Décor et costumes d’Anouk Schiltz
Lumières de Fränz Meyers