Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter ce projet ?
Olivier Martin-Salvan : L’idée est réellement née pendant le confinement, mais elle est le fruit d’une longue réflexion. Au cours de ma carrière, j’ai travaillé plus de huit ans avec Benjamin Lazar autour du personnage du Bourgeois gentilhomme, puis tout aussi longtemps sur les textes de Rabelais. Et tel un saumon qui remonte le temps, poussé par de nombreux amis, je me suis intéressé au moyen-âge, à l’imaginaire qui y est associé, ainsi qu’à la littérature de cette époque. J’ai ainsi découvert Le Roman de la rose, un long poème écrit par Guillaume de Lorris et complété quelques années plus tard par Jean de Meung. J’ai été particulièrement séduit par les allégories, l’esprit de merveilleux qui s’en dégage. C’était une vraie surprise, loin du côté incompréhensible que j’imaginais.
En parallèle de cela, j’avais rencontré, grâce à Matthieu Banvillet à l’époque où il était encore directeur du Quartz à Brest, la troupe Catalyse. Basée à Morlaix, elle est composée d’artistes en situation de handicap. Si au début je me suis posé beaucoup de questions, en travaillant avec eux, notamment à travers des ateliers inclusifs, avec des étudiants, des amateurs et des personnes plus âgées, j’ai tout de suite ressenti leur rapport au présent, à la croyance. Alors qu’on était tous enfermés chez nous, je ne sais pas pourquoi, j’ai pensé à eux. Je m’inquiétais car la plupart d’entre eux vivent en centre. J’ai donc eu l’envie d’imaginer un spectacle XXL avec eux, de jouer au plateau avec eux. Je crois qu’ils m’ont tout simplement permis de passer de la 2D à la 3D. Avec eux, on ne peut pas tricher, il faut être authentique. C’est très moteur.
Pourquoi cette envie de grande forme ?
Olivier Martin-Salvan : je crois qu’en cette période tendue, c’est pour moi une manière d’éprouver la santé de notre système public. Je crois qu’il est plus que nécessaire de faire attention à nos grands plateaux. Il faut les habiter, imaginer des spectacles avec des belles scénographies et du monde sur scène. C’était d’autant important pour moi que je sentais bien que nous allions vers une période de restriction.
Si toute les formes de spectacles, même les plus minimalistes, sont importantes, il faut de la magie, de l’extraordinaire, des expériences puissantes pour qu’encore et toujours les gens tombent amoureux du théâtre. Ce sont toutes ces choses-là qui m’ont donné envie et convaincu de travailler avec la troupe Catalyse et d’imaginer pour eux, notamment parce qu’ils ont comme moi des corps hors normes, une fresque médiévale. Inconsciemment, tout cela à voir avec l’imaginaire, la joie, leur rapport à l’émerveillement. Mais ce qui était aussi primordial pour moi, c’est que je voulais faire un spectacle avec plein de personnes au plateau, qu’il y ait une vraie diversité, dont seulement sept sont issues de la troupe Catalyse.
Et le choix de Valérian Guillaume ?
Olivier Martin-Salvan : il m’avait proposé de travailler avec lui sur Nul si découvert, pièce que nous avons joué l’an passé au Théâtre de la Cité internationale. J’ai beaucoup aimé son univers poétique, mais à l’époque nous n’avions pas d’autres projets communs. En effet, je travaillais déjà avec Nicole Genovese sur ce spectacle autour du Moyen-âge. Mais nous n’arrivions pas à trouver le bon ton, la bonne forme. Elle s’est vite rendu compte que la commande d’écriture que je lui avais faite, ne lui convenait pas. J’ai donc repensé à Valérian, notamment parce que je trouvais intéressant la façon dont il manie la poésie, il questionne la matérialité des mots. Il a une manière de travailler la langue qui me semblait tout à fait aller dans le sens de ce que je souhaitais. L’idée lui a plu. Ce n’a pas été simple, mais il a accepté le défi. Il a fallu du temps, notamment pour adapter le texte au fil des répétitions et des représentations. Mais je crois qu’enfin nous avons trouvé le bon endroit. Ça fonctionne de mieux en mieux au plateau.
Comment, justement, travaille-t-on ce rapport du corps au texte avec une distribution aussi disparate et éclectique ?
Olivier Martin-Salvan : À ce sujet, j’ai beaucoup parlé avec un des acteurs de Pippo Delbono. L’important est de bien se préparer, de travailler à partir de nombreux exercices pour appréhender leur manière de se bouger, leur rapport à l’espace, et s’adapter à eux. C’est quelque chose que j’ai anticipé très tôt avec les tutelles, dont la DRAC Bretagne. Il était primordial que j’aie du temps en amont avec les artistes de Catalyse pour faire des exercices théâtraux. Ce qui me semblait essentiel, c’est la professionnalisation. En trois ans, nous avons fait plus de six laboratoires pour appréhender l’espace, travailler les costumes et les décors avec Clédat & Petitpierre. L’objectif était qu’une fois sur scène, on oublie le handicap sans pourtant invisibiliser les corps et les différences. C’est essentiel que l’on ne gomme pas ces diversités, qu’on puisse voir au plateau des personnes, des silhouettes dont on n’a pas l’habitude. Et je sais de quoi je parle. Un monsieur rondouillard et poilu c’est assez rare sur les scènes. Je remercie d’ailleurs des artistes comme Rébecca Chaillon qui osent la différence, le hors-norme. Ce qui est d’autant plus intéressant avec la troupe Catalyse, c’est que leurs corps différents se sont construits avec leur handicap.
Est-ce que ce n’est pas déstabilisant d’être à la fois comédien et metteur en scène dans un spectacle qui a autant évolué ?
Olivier Martin-Salvan : C’est un peu délicat, mais c’est une chose dont j’ai l’habitude. Avec Les gros patinent bien, nous en sommes bientôt à la 800e représentation et pourtant le spectacle n’a plus rien à voir avec ce que nous avons présenté lors des premières en 2020. Pierre Guillois et moi, nous réécrivons en permanence. La pièce que nous allons jouer à Bussang, en août au théâtre du peuple, sera tout autre que celle que les spectateurs ont vu au Rond-Point. Et puis je viens de l’école Novarina. Avec lui, le spectacle ne commençait à ressembler selon lui à ce qu’il souhaitait qu’après la cinquantième représentation. Souvent, il me disait que c’était à partir de là que nous, comédiens, commencions à entrevoir le personnage que l’on incarnait. En étant comédien de mon propre spectacle, il m’est possible d’insuffler quelque chose de l’intérieur. C’est très précieux, et j’ai l’impression que cela se ressent.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Péplum Médiéval de Valérian Guillaume, suite à une commande d’écriture d’Olivier Martin-Salvan
création en octobre 2023 à la MC2 de Grenoble
durée 1h35
Tournée
17 et 18 mai 2024 à L’ARC – scène nationale du Creusot
Mise en scène d’Olivier Martin-Salvan assisté de Lorraine Kerlo-Aurégan
Avec Romane Buunk, Tristan Cantin, Manon Carpentier, Victoria Chéné, Fabien Coquil, Guillaume Drouadaine, Maëlia Gentil, Lise Hamayon, Mathilde Hennegrave, Rémy Laquittant, Emilio Le Tareau, Olivier Martin-Salvan, Christelle Podeur, Jean-Claude Pouliquen, Sylvain Robic : interprétation
collaboration artistique – Alice Vannier
recherche dramaturgique – Mathilde Hennegrave
conseil dramaturgique – Baudouin Woehl
conseil littéraire – Mathias Sieffert
scénographie et costumes de Clédat & Petitpierre
assistanat, réalisation des costumes – Anne Tesson et Jeanne-Laure Mulonnière
chorégraphie d’Ana Rita Teodoro
composition musicale de Vivien Trelcat et Miguel Henry en collaboration avec Maxime Lance
création lumière de Mael Iger assistée de Sébastien Vergnaud
accompagnement éducatif de la Troupe Catalyse – Erwanna Prigent et Julien Ronel :