Vous êtes jeune, comment Pagnol a-t-il atterri dans votre besace ?
Arthur Cachia : Il y est depuis ma plus tendre enfance. Je suis originaire de Sanary-sur-mer dans le Var. J’ai grandi en Provence en entendant ses textes, en voyant ses films. Régulièrement, mes parents recevaient des amis et ils regardaient ensemble un Pagnol autour d’une soupe au pistou. C’est vraiment la tradition ! J’entendais des répliques fuser par-ci par-là. l’artiste aubagnais appartient à notre inconscient collectif, il était là tout le temps. Il m’a toujours accompagné. Plus grand, quand j’ai commencé le théâtre, je me suis intéressé de plus près à ses œuvres, j’ai tout lu, et là je l’ai vraiment découvert.
Pourquoi Naïs ?
Arthur Cachia : Un jour, alors que je travaillais en restauration (je vivais une année très difficile et j’étais à fleur de peau), je suis allé en famille faire un tour aux carrières de lumière des Baux-de-Provence. Dans la voiture, je les entends dire le monologue du petit bossu. « Les petits bossus sont des petits anges qui cachent leurs ailes sous leur pardessus. » J’étais bouleversé. Tout s’est éclairé. Je suis rentré chez moi, j’ai cherché sur internet « Pagnol, le petit bossu ». Je lisais ça à tous mes potes. Et ça, c’était bien avant d’avoir l’idée de faire du théâtre. C’est quelque chose qui m’accompagne depuis longtemps. En 2018, quand j’ai préparé une audition pour l’école de théâtre Le Foyer, c’est le monologue que j’ai choisi.
Comment, en partant du monologue du bossu, viens l’idée de monter le film au théâtre ?
Arthur Cachia : Dans l’année, il me manquait des scènes, alors je dis à Maxime d’Aboville, qui était intervenant au cours, que j’ai ce monologue dans mon escarcelle. On l’a travaillé à deux, en faisant un montage notamment avec la scène d’ouverture du long-métrage. Mes camarades ont trouvé cela génial. Les professeurs ont décidé de le garder pour le spectacle de fin d’année. J’ai eu une mention du jury, dont faisait partie Thierry Harcourt. Voyant l’accueil qu’a réservé le public à cette scène, je me suis dit qu’il fallait que l’on monte Naïs. J’avais 30 ans, j’étais en reconversion, je ne pouvais pas attendre. Il fallait que je vive de mon nouveau métier. J’ai poussé les portes pour que cela marche.
Et vous frappez à la porte de Thierry Harcourt…
Arthur Cachia : Boosté par un de mes professeurs, Axel Blind, qui insistait pour que l’on aborde très professionnellement le projet, j’ai contacté sur ses conseils, Thierry Harcourt, notamment, car il avait été séduit par notre prestation de fin d’année. Je connaissais un peu son travail, que je trouvais très classe, très respectueux du texte. Nous avons fait pour lui une lecture et il a accepté de partir avec nous sur le projet.
Comment avez-vous abordé cette œuvre qui date de 1945 et qui possède un style très marqué ?
Arthur Cachia : Quand on a demandé les droits, Nicolas Pagnol nous a demandé de sortir l’œuvre de son jus. Autant Thierry dans la mise en scène que moi, dans l’adaptation, nous nous sommes attachés à la dépoussiérer. Tout en respectant la langue, j’ai essayé de dynamiser le tout au maximum en gommant parfois et en réorganisant le texte. J’ai créé une ou deux petites scènes, coupé des personnages. Comme c’était un film, j’ai harmonisé les unités de temps et de lieu.
Le scénario étant d’une nouvelle d’Émile Zola, j’ai réinjecté un peu de cet auteur pour renforcer les enjeux et remettre de la « noirceur ». Sous l’humour et l’accent, se cachent des choses plus profondes. Zola a tissé un drame et Pagnol l’a enrobé d’humour et de poésie, c’est ce qui fait la particularité de cette pièce. l’auteur des Rougon-Macquart est dans l’ombre. On a été chercher la vérité du sentiment, souvent violent, et les mots de Pagnol amènent cette légèreté dont on a besoin. Quand on le lit, on sent que c’est quelqu’un de profondément humain, dès que cela devient trop lourd, il met un rire pour permettre aux gens de se libérer.
Et vous décidez de faire le festival Off d’Avignon, à L’Oriflamme, ce qui est une sacrée aventure pour un premier spectacle…
Arthur Cachia : Que l’on a fait avec nos propres deniers ! Le but d’Avignon était de donner de la visibilité au spectacle. Retourner dans le Sud avec cette pièce faisait aussi sens. Jouer à 10h30 dans un théâtre qui venait d’ouvrir était un gros pari. Et ça a décollé ! Dès les premières représentations, il y a eu du monde. On a senti que la pièce prenait. Nous sommes revenus l’année suivante à Avignon à La Condition des Soies avec un soutien de Black Bird Prod. On a été complet avec liste d’attente tout le festival. Vivre ça à Avignon, c’est le luxe !
Et vous voilà au Lucernaire…
Arthur Cachia : C’était notre rêve avec l’équipe. On y va souvent. Ce théâtre intimiste avec des spectacles de qualité est un lieu qui vit. On y voit des gens heureux d’aller aux spectacles. Dès le début, on s’y est projeté ! On a réussi à obtenir un créneau. C’est vraiment une joie pour nous d’aller au Lucernaire. C’est une fête. Le théâtre doit être une fête !
Et après retour à Avignon ?
Arthur Cachia : Tout à fait, à 13h40 à la Condition des Soies.
Et bien quel parcours, pour quelqu’un qui vient de la haute gastronomie !
Arthur Cachia : J’y étais au service en salle, et maintenant, je suis toujours au service, mais d’un texte ! J’étais vraiment parti pour faire carrière là-dedans. J’ai été pendant quatre ans chez Christophe Bacquié. Quand on a obtenu la troisième étoile au Michelin, à ce moment-là, j’ai dit stop. Cela ne correspondait plus à ce que j’avais envie de faire. Après 12 ans d’expérience, j’ai eu une page blanche à écrire et comme on n’arrêtait pas de me dire d’aller faire du théâtre, j’y suis allé ! Je suis monté à Paris et je suis tombé en amour avec le théâtre. Mon premier métier m’a appris la rigueur, la discipline. Cela a été une école de la vie très formatrice que je ne regrette pas d’avoir faite.
Qui vous permet d’être un chef de troupe et de mener à bien votre chemin !
Arthur Cachia : Cela m’a donné une envie d’entreprendre et d’avancer, mais également permis de développer un réseau. Il faut beaucoup d’énergie. Si on n’a pas une envie de dingue et une soif de faire ce métier, on est vite limité. Je suis allé à la rencontre des artistes. C’est ainsi et grâce aussi à la confiance de mes professeurs que j’ai pu jouer avec Béatrice Agenin dans Marie des Poules, mis en scène par Arnaud Denis ; j’ai été leur élève, c’était un rêve pour moi. Et puis, comme nous sommes dans une suite d’anniversaires pour Pagnol, les 50 ans de sa mort cette année et les 130 de sa naissance en 2025, il y aura bientôt Le Schpountz que j’ai adapté et mis en scène avec Delphine Depardieu. Et bien d’autres idées en tête…
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Naïs de Marcel Pagnol.
Lucernaire
53 rue Notre-Dames-des-Champs
75006 Paris.
Du 8 mai au 30 juin 2024.
Durée 1h10.