En adaptant pour le théâtre les récits foudroyants du journaliste Jean Hatzfeld regroupés, en 2003, dans Une saison de machettes, Dominique Lurcel et sa compagnie, les Passeurs de mémoire, réalisent un travail remarquable et nécessaire pour espérer, comme les rescapés de la Première Guerre mondiale : « Plus jamais ça ! ».
C’est en 2006, au Petit Louvre, dans le Off d’Avignon, que les festivaliers avaient découvert, bouleversés, cette »mise en voix collective d’une livraison de récits ». Le souvenir des massacres étant encore vif, les récits de ces dix copains rwandais qui, en trois mois, avaient massacré, violé et pillé leurs voisins saisissait d’effroi. Pour paraphraser Robert Merle, ils avaient fait de la mort leur métier. Dix-huit ans plus tard, parce que les hommes n’ont toujours pas décidé de vouloir vivre en paix, ces paroles nous parviennent encore plus âprement !
Céline Bothorel, Maïa Laiter, Mounir Alaoui, Tadié Tuéné, installés dans le public, se lèvent tour à tour. L’image du voisinage est forte ! Puis, comme des prisonniers, ils vont se coller les uns aux autres au pied d’un mur. À leurs côtés, un contrebassiste, Yves Rousseau, dont la musique fait contrepoint aux mots. Sans jamais user des artifices, avec le ton de la banalité du quotidien, telle qu’il est utilisé dans les récits, les artistes font entendre l’indicible. En choisissant cette distanciation et une mise en scène très épurée, Dominique Lurcel permet de bien saisir l’absurdité de la violence. Le résultat est tout aussi glaçant que bouleversant.
Marie-Céline Nivière
Une saison de machettes, récits recueillis par Jean Hatzfeld (Éditions du Seuil).
Théâtre de l’Épée de Bois
Cartoucherie – Route du Champs de Manœuvre
75012 Paris.
Jusqu’au 12 mai 2024.
Durée 1h25.
Adaptation et mise en scène Dominique Lurcel.
Avec Céline Bothorel, Maïa Laiter, Omar Mounir Alaoui, Tadié Tuéné.
Musique et contrebasse Yves Rousseau.
Lumières de Philippe Lacombe.
Décors de Gérald Ascargorta et Jérôme Cochet.
