Inspiratrice, intellectuelle, écrivaine, Lou Andréas Salomé déchaîne les passions, attire les regards et s’émancipe de sa condition de femme dans un monde d’hommes. Avec une infinie délicatesse, Bérengère Dautun esquisse un portrait poignant de cette personnalité hors du commun, que la mise en scène d’Anne Bouvier souligne finement. Un joli moment de théâtre habité par deux comédiennes exaltées.
Dans un palais pétersbourgeois, en cette fin du XIXe siècle, une jeune fille, tout de noir vêtu, cheveux roux flamboyants ,lâchés, court, virevolte, s’amuse avec ses frères, sous le regard gentiment courroucé de sa mère, amusé de son général de père. Cette enfant pleine de vie, ce garçon manqué se moquant des convenances, c’est Lou von Salomé. Russe dans l’âme malgré ses origines germaniques, cette passionnée de philosophie, qui étudie sans relâche, charme, envoûte tous les beaux esprits de son temps, hommes et femmes.
De Paul Rée à Friedrich Nietzsche, avec qui elle forme un ménage à trois spirituel et platonique, en passant par Sigmund Freud, dont elle est la première discipline de sexe féminin, Friedrich Carl Andreas, qu’elle épouse à la seule condition que le mariage ne soit jamais consommé, et enfin l’écrivain Rainer Maria Rilke, avec qui elle a une relation amoureuse, brûlante, tous sont séduits par cet esprit libre, cette écrivaine brillante, cette éblouissante intellectuelle dont la beauté n’a d’égale que son intelligence.
Être incandescent, avant-gardiste, femme en avance sur son temps et sur les mouvements féministes, Lou Andréas Salomé passionne depuis longtemps Bérengère Dautun qui a voulu lui rendre un hommage vibrant en contant sa vie en quinze tableaux, dans une pièce relatant, (en quinze tableaux), les moments-clés de son existence. Se basant sur l’abondante correspondance de cette voyageuse invétérée, dont les plus belles lettres servent d’architecture à l’ensemble et rythment le spectacle en s’affichant en fond de scène, elle fait renaître cette égérie du début du XXe siècle, cette écrivaine peu connue du grand public. Loin de la cantonner au rôle de muse de Nietzsche et de Rilke, la comédienne s’intéresse surtout à l’artiste enflammée, à la femme passionnée, dévorée par son désir d’apprendre toujours plus, de découvrir d’autres domaines que sa pensée n’a pas encore explorés.
Bien que très didactique, volonté de l’auteure, la ciselée mise en scène d’Anne Bouvier, assistée de son acolyte Pierre Hélie, duo qui avait déjà participé à la création de Compartiment fumeuses qui avait déjà réuni Bérengère Dautun et Sylvia Roux sur scène, nous immerge dans la vie riche, passionnante, de cet être solaire qui a connu la Première Guerre mondiale, le bolchévisme abîmer l’âme slave, la montée du nazisme. S’appuyant sur la belle scénographie de Marine Brosse et les ingénieuses lumières de Denis Koransky, elle nous entraîne dans le tourbillon trépidant des amours brûlantes de la belle Lou, de ses amitiés particulières qui ont toutes comme moteur la passion inassouvie de la connaissance.
Si l’on se laisse ensorceler par ce personnage inspirant et singulier, c’est surtout dû à la volonté de deux femmes, de deux artistes de lui rendre hommage, de souligner sa pensée féministe, novatrice, son âme de bâtisseuse d’une société prônant la liberté et l’égalité des sexes. Habillées d’une même robe noire, signée Mine Verges, les deux comédiennes insufflent à la vie non seulement à Lou Andréas Salomé, mais aussi à toutes les personnes qui l’ont approchée, côtoyée, aimée. En Lou exaltée, terriblement vivante, Sylvia Roux est lumineuse, rayonnante. Face à elle, Bérengère Dautun, touchante, saisissante de vérité, se glisse avec malice, fièvre parfois, grâce à quelques accessoires, dans la peau de tous les autres protagonistes de cette histoire. Une paire de lunettes, et c’est Freud qui apparaît ; un pendentif, et c’est la mère qui distille ses conseils à sa fille, etc.
En nous invitant à cette Cantate pour Lou von Salomé, l’ex-sociétaire de la Comédie-Française fait (re)découvrir cette figure emblématique du siècle dernier d’une bien belle et jolie façon. Admirable !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Cantate pour Lou von Salomé de Bérengère Dautun
Studio Hebertot
78bis Boulevard des Batignolles
75017 Paris
du jeudi au samedi à 21h et le dimanche à 17h
durée 1h10
mise en scène d’Anne Bouvier assistée de Pierre Hélie
avec Bérengère Dautun et Sylvia Roux
lumières de Denis Koransky
Costumes de Mine Verges
scénographie de Marine Brosse
Images de Léonard
conseiller musical : Vincent Figureau
Crédit photos © Jean-Philippe Lacan et© Béatrice Landré