Sous le ciel clairsemé de Rennes, quelques rayons se frayent un chemin, donnant à la Bretagne un premier aperçu du printemps. Depuis les terrasses bondées, on voit une foule s’amasser devant les lieux phares du Festival. Tous s’apprêtent à se tapir dans l’ombre de la Parcheminerie, du Théâtre Saint-Etienne ou du Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne…
Au milieu de la programmation musicale de la manifestation qui fait la part belle à la francophonie, quelques jolis noms du théâtre se disputent l’affiche. Le collectif Bajour, né à quelques pas de là, sur les bancs du Théâtre national de Bretagne, propose deux spectacles. Sébastien Barrier, figure historique de l’événement, fait un grand retour avec un seul en scène interpellant. Mais l’émergence se fait aussi une place de choix, réservant quelques belles surprises dans ce festival historique de la ville.
“Déconne” des fans
Comme s’ils s’étaient passé le mot, nombre d’artistes s’attaquent cette année au parasocial, ces relations unilatérales avec des personnalités publiques qui virent parfois à l’obsession. Qu’il soit question de tennis, de post-punk ou de littérature, trois spectacles donnent à voir le charme et l’excès de ces liens.
Dans Serena, Clément Pascaud retrace de jeunes années d’idolâtrie pour Serena Williams, championne américaine de tennis pour qui il a séché quelques journées de cours. Une pièce écrite par Marion Solange-Malenfant à qui il faut reconnaître quelques temps forts, en dépit d’un petit manque de liant entre les scènes. Dans ce spectacle solo, Clément Pascaud peine parfois à tenir la cadence, même si s’esquisse en creux un joli portrait de la tenniswoman.
Fanatique parmi les fans, Sébastien Barrier propose quant à lui un grand moment de vulnérabilité avec Dear Jason Dear Andrew, récit d’un échec tout relatif. Fidèle auditeur de la post-électro-punk de Sleaford Mods, l’artiste offre en pature une discussion, presque unilatérale, avec le duo britannique sur Facebook. De la déclaration d’amour aux insultes, à mesure que son anglais s’améliore, sa patience s’élime. Derrière les reprises en live, Sébastien Barrier donne à voir la vie de père comme un ancrage. Un moment drôle et touchant où cynisme et vulnérabilité trouvent un équilibre rare.
Du parasocial à l’emprise
Alors que les Bajour offraient un superbe spectacle choral avec L’Eclipse, c’est un virage intimiste qu’entreprennent Julien Derivaz et Katell Daunis avec Je voudrais parler de Duras. Interprète halluciné d’un hit de Britney Spears la veille, le comédien, membre fondateur du collectif, se montre ici plus tourmenté, révélant un jeu d’une grande sensibilité.
Il faut dire que la vie de Yann Andréa, dont il est question ici, est faite de secousses. Le jeune homosexuel s’éprend de Marguerite Duras, de ses mots et bientôt de ses silences, de ses gestes, bref, de son charisme. À mesure qu’il se rapproche de son idole, Yann Andréa renonce un peu à son indépendance, tout juste naissante. Après quelques échanges épistolaires, il vient vivre aux côtés de l’autrice et découvre enfin la femme.
Jeune éphèbe porté aux nues un soir, vulgaire laquais le lendemain, l’amant de Marguerite Duras admet bien volontiers le confort de sa geôle. C’est ce même verbe qu’il a tant lu, tant admiré, qui fait voler en éclat ses quelques certitudes forgées avec peine.
Dans leur mise en scène, Julien Derivaz et Katell Daunis résistent à la tentation du seul en scène pour matérialiser l’ambiguité, la dépendance, la confidence. Assise à un bureau, elle écoute patiemment. Elle pourrait être une amie, une éditrice, une psychiatre, si ce n’est l’ombre de Marguerite Duras. Dans ces confessions, Yann Andréa donne à voir toute l’ambiguïté de l’emprise, quitte à mettre l’emphase sur ce qu’elle a de plus beau. Propos grinçant, jeu candide, Je voudrais parler de Duras est un bel exercice d’équilibriste.
Mots-valises sous les yeux
C’est une nonchalance peu commune, la stature de ceux qu’on appelle « personnage » avant même qu’ils ne posent le pied sur scène. 66. est la rencontre improbable de Shakespeare et Antonin Artaud avec l’univers du rappeur Vîrus. Cet exercice d’équilibriste à la lisière du concert et du théâtre, c’est la parfaite opportunité de dessiner un univers sombre où les expressions sont délicieusement malmenées. À la cruauté du réel, Vîrus oppose une grammaire percutante où les jeux de mots s’offrent une place de choix dans chacune des punchlines.
Loin du pur exercice stylistique, on lit dans la gouaille du rappeur une colère sourde. Le sourire face à un trait d’esprit se fige alors qu’on se mange le virage de la ligne suivante. Vîrus parle aussi bien de la précarité que de l’addiction, de la nuit que du deuil. L’air de rien, c’est un spectacle très généreux qui vient subjuguer le public de la Parcheminerie. Tous les regards convergent en un point, il ne faut pas manquer une ligne de celui qui semble si bien les faire bouger.
Mathis Grosos
Festival Mythos
Du 5 au 14 avril 2024
35000 Rennes
Serena de Marion Solange-Malenfant
Présenté le 11 avril 2024 à La Parcheminerie
Du 3 au 21 juillet 2024 La Manufacture/Festival Off Avignon
Adaptation, mise en scène et jeu – Clément Pascaud
Direction d’acteur – Mélanie Leray, Manuel Garcie Kilian
Assistante de création- Leïla Bertrand
Conseils dramaturgie – Christophe Gravouil
Scénographie de Louise Sari
Lumière de Vincent Chrétien
Son-Musique de Jérôme Leray
Régie son – Lucas Gautier
Vidéo de Thomas Guiral
Costumes de Tiphaine Pottier
Enregistrement voix off – Thierry Mathieu
Voix off – Yasmine Modestine, Clément Pascaud
Dear Jason Dear Andrew de Sébastien Barrier
Présenté le 11 & 12 Avril 2024 au CCNRB
Du 5 au 7 juillet 2024 Festival Paris l’été
En juillet à la Manufacture/Festival Off d’Avignon
Conception et jeu Sébastien Barrier
Lumières et régie générale Alizée Bordeau
Son et régie générale Félix Mirabel
Je voudrais parler de Duras d’après les entretiens de Yann Andréa avec Michèle Manceaux
Editions Pauvert
Présenté le 11 avril 2024 au la Parcheminerie
puis le 4 avril 2024 au- Théâtre de la Bastille Hors les murs.
19 avril 2024 à Prades-le-Lez (34)
Du 3 au 21 juillet 2024 à La Manufacture/Festival Off Avignon
Durée 1h00 environ
Conception, mise en scène et jeu de Julien Derivaz
Production de Collectif Bajour
Collaboration artistique : Katell Daunis
66. de Vîrus
Présenté le 12 à la Parcheminerie
Écriture et interprétation Vîrus
Regard extérieur David Gauchard