Bruits assourdissants, lumières stroboscopiques, corps en transe, le temps d’une soirée, Jan Martens nous entraîne dans un pas de trois extatique, hypnotique. Si l’esprit créatif du chorégraphe belge, fortement inspiré par la musique sauvage de NAH, se perd parfois en chemin, il bouscule nos habitudes, notre regard sur la danse et offre un spectacle puissant, décalé. Déroutant, Fascinant !
La salle est plongée dans la pénombre. Sur la scène, on distingue, au fond, côté jardin, une sorte d’instrument, une grosse batterie. Soudain, un bruit déchire le silence. Un éclair violet fend l’obscurité. C’est la première déflagration musicale et lumineuse d’une longue série, le premier son saturé et le premier flash éblouissant qui nous arrachent à nos rêveries, nous empêchent de laisser notre esprit vagabondé. Par ce prologue surprenant, assourdissant, aveuglant, Jan Martens nous attrape dans ses filets.
Rien n’est anodin, rien n’est superflu, tout est voulu, choisi, ni les textes de Lydia Davis, ni l’effet stroboscopique des lumières, ni l’explosion des décibels. C’est en parcourant la toile, en explorant les blogs musicaux que le chorégraphe belge découvre NAH, un musicien américain, un performeur. Aimant sa capacité à saturer l’espace de sons, à entremêler les samples, à extraire d’un chaos de tonalités discordantes des envolées mélodieuses, voire lyriques, il en a fait son complice pour créer ce singulier pas de trois énergique et mystique.
Et il faut être patient pour voir émerger de l’obscurité les corps des danseurs. Au bout d’un certain temps, un après l’autre, vêtus de survet’ rouges, jaunes ou bleus, ils prennent possession du plateau. Mouvements itératifs, gestes saccadés, ils semblent traverser, posséder par la musique jouée en live par NAH. Totalement, en transe, Steven Michel, Julien Josse (en alternance avec Dan Mussett) et Courtney May Robertson nous hypnotisent, nous ensorcellent. Qu’ils soient un, deux ou trois sur scène, ils ont cette capacité fascinante d’attirer le regard, de capter nos attentions.
Loin d’un ballet à la ligne chorégraphique parfaitement identifiée, Jan Martens préfère une succession de saynètes courtes, comme s’il voulait attraper au vol des instants de vie et les retranscrire pour nous montrer à quel point nos vies modernes sont faites de zapping électronique.
Aussi déconcertant que cela soit, manquant de cohérence évidente, Rule of three est une évocation de notre société totalement prisonnière des réseaux sociaux. Rupture de rythme, silence assourdissant, les corps de nos trois danseurs se dénudent, pour se montrer dans leur plus simple appareil, sans complexe, sans pudeur. Une nouvelle histoire se dessine, inspirée des études de nus des peintres de la Renaissance. Entremêlant les chairs, Jan Martens esquisse une autre issue à nos existences, celle dépourvue de toutes contraintes, libérée de tout enfermement dans la toile d’araignée internet qui nous relie les uns aux autres.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Rule o f three de Jan Martens
Festival d’Automne à Paris
Théâtre de la Ville –Espace Pierre Cardin
1, place Gabriel
75008 Paris
jusqu’au 15 novembre 2017
du lundi au samedi à 20h30
Dans le cadre du Festival Immersion 2017
L’Onde Théâtre Centre d’art
8 bis, avenue Louis Breguet
78140 Vélizy-Villacoublay
Vendredi 17 novembre 2017
durée 1h15
musique live créée & interprétée par NAH
costumes de Valérie Hellebaut
lumières de Jan Fedinger
dramaturge/répétitrice : Greet Van Poeck
avec Steven Michel, Julien Josse, Courtney May Robertson et/ou Dan Mussett
avec des histoires courtes de Lydia Davis
Ecrire et Poils de chien de Histoire réversible par Lydia Davis, trad. Anna Rabinovitch, Christian Bourgois
editeur, 2016.
Et soudain la peur de Kafka aux Fourneaux, par Lydia Davis, trad. Marie-Odile Fortier-Masek, Editions Phébus, Paris, 2009.
Crédit photos © Phile Deprez