Renée Delmas se rêvait comédienne. En 1956, son père lui achète un petit lieu niché dans une impasse du boulevard Montparnasse. Ce petit théâtre de poche, créé en 1942, avait accueilli de jeunes artistes en devenir, comme Jean Vilar, Marcel Marceau, Audiberti, Vitez… Ce lieu était un fleuron du foisonnement artistique de l’après-guerre. Grâce à cette jeune directrice de 25 ans, il allait le rester.
Un théâtre de création
Sa première bonne idée, et elle en aura beaucoup, fut de proposer au comédien Étienne Bierry de prendre la collaboration artistique. Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Il y a eu les véritables, la metteuse en scène Marion Bierry et le comédien Stéphane Bierry. Mais aussi tous les autres, c’est-à-dire leurs spectacles. Jusqu’en 2012, date à laquelle, ils vendirent à Philippe Tesson leur théâtre, ces deux passionnés n’ont jamais démérité, nous proposant une programmation étonnante.
Même s’ils ont programmé des pièces issues du répertoire, la priorité du couple était de dénicher les auteurs et de proposer au public un théâtre de qualité. Le lieu étant trop petit pour faire de l’argent, leur but était donc de ne pas en perdre. Ce qu’ils réussirent assez bien, même si cela ne devait pas être facile tous les jours. Ne possédant aucune subvention, ce théâtre privé affichait des spectacles dignes des théâtres publics. Renée Delmas fut alors une des pionnières de la création du Fonds de Soutien du Théâtre Privé.
Toujours en quête d’auteurs
Dresser la longue et brillante liste des auteurs et metteurs en scène passés chez eux se résumerait à faire une page de l’histoire du théâtre. Pour les auteurs, entre autres, nous trouvons dans les contemporains Billetdoux, Ionesco, Dubillard, Arrabal, Obaldia, Adrien, Gabily, Sirjac, de Toledo, Cauchi… ; les auteurs étrangers Sergi Belbel, José Rivera, Lee Hall ; pour les metteurs en scène, hors Étienne et sa fille Marion, Régy, Hussenot, Vitaly, Fagadau, Bourseiller, Lavelli, Serreau, Blin, Mauclair, Ribes, Velez… De nombreux comédiens et comédiennes ont aussi foulé les planches de cette maison atypique, comme Catherine Rich, Danièle Delorme, Jacqueline Danno, Roland Blanche, Victor Haïm, Jean-Pierre Kalfon, Jacques Frantz, Philippe Magnan… Ce lieu était une pépinière qui a permis l’éclosion de jeunes actrices et acteurs, tels Raphaëline Goupilleau, Guillaume de Tonquedec, Éric Elmosnino, Olivier Marchal, Éric Verdun, Marie Reach, et bien sûr Stéphane Bierry…
Une femme à poigne
C’est toujours avec joie que l’on se rendait au Poche. Renée Delmas nous accueillait à l’entrée, postée à côté de son attachée de presse Marie-Hélène Brian. Elle avait une stature qui en imposait. Le premier contact n’était pas facile. En réalité, sa mauvaise vue et sa timidité lui donnaient cet air sévère. En faisant plus ample connaissance, on découvrait une femme charmante, soucieuse de la bonne marche de son théâtre, de ses productions. Elle était attentive à tout. Avec Étienne, elle formait un duo de choc. Il était agréable de deviser avec eux, et même de faire la fête. On se souvient de leur bonheur, en cette soirée des Molières, où la pièce de Daniel Besse, Les directeurs, reçue la récompense suprême du meilleur spectacle. Étienne est mort en 2015, aujourd’hui, elle vient de le rejoindre. Adieu Madame, merci pour votre contribution à l’histoire du théâtre.
Marie-Céline Nivière
Remerciement à Laurencine Lot et sa mémoire photographique