Il y a des spectacles que l’on attend. Des textes qu’on rêve de voir portés sur les planches, tant il en dégage une dimension théâtrale évidente. L’adaptation des écrits de Constance Debré fait partie de cette catégorie rare. À la lecture, les romans de l’ancienne avocate, petite-fille du premier ministre du général de Gaulle, saisissent, attrapent et mettent K.O. Sa plume radicale, brève, astringente, creuse jusqu’à l’os sa vision nihiliste du monde, le dégoût de son milieu, de son nom de famille. Renaissant au monde après une remise en question profonde de qui elle est, après s’être débarrassé de tous les oripeaux — mari, enfant, travail, etc. — qui la maintenaient dans une vie qui n’était pas la sienne, elle y apparaît sans attache, libre et plus vivante que jamais. Ses grandes forces : son ton sec, ses phrases courtes, son sens de la rythmique, sa désinvolture rageuse.
En s’emparant de cette autofiction coup-de-poing, Hugues Jourdain, dont l’adaptation très réussie de Dans ma chambre de Guillaume Dustan avait remporté en 2019 un succès public et critique, fait le pari de triturer et remanier par fragments l’œuvre de Constance Debré, prenant çà et là des bribes, des pensées, des extraits. Sur le papier rien à dire, il y a déjà chez l’autrice cette idée d’écriture kaléidoscopique, de morcellement, de chapitrage court. Mais à trop se détacher de l’essence même de l’œuvre, à savoir son ton irrévérencieux et acéré, on finit par la perdre de vue et ne plus entendre sa petite musique furieuse, direct et sans artifice.
Voix légèrement éraillée, démarche masculine et intensité certaine de jeu, Victoria Quesnel, comédienne habituée des mises en scène de Julien Gosselin, ne démérite pas. Elle se donne sans compter jusqu’à la furie, mais rate sa cible ou du moins esquisse un personnage à mille lieues de l’autrice. Même si la mise en scène est épurée — juste une chaise comme décor —, trop d’affèteries, notamment musicales, éloignent ce Nom de l’œuvre originelle, quitte à flirter avec le contre-sens. L’uppercut Debré n’est, sur la scène du Rond-Point, qu’un rond dans l’eau !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Nom d’Hugues Jourdain adapté du roman de Constance Debré
salle Topor
Théâtre du Rond-Point
2bis av Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
jusqu’au 6 avril 2024
durée 1h15
Mise en scène de Hugues Jourdain
Avec Victoria Quesnel
Création lumière de Coralie Pacreau
Création sonore d’Hippolyte Leblanc
Création musicale de Samuel Hecker
Régie générale à la création – Roméo Rebière