Lucrèce Borgia de Victor Hugo, mise en scène de Denis Podalydès © Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française
© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française

Lucrèce Borgia, un retour éblouissant au Français

Salle Richelieu, la célèbre pièce de Victor Hugo, mise en scène par Denis Posalydès revient après cinq ans d'absence. Portée par Elsa Lepoivre, la vénéneuse italienne brûle d'une humanité troublante.

Noires, vénéneuses, sépulcrales, des ombres dansent et virevoltent sur la scène du Français. Elles tournent comme des corbeaux autour d’une carcasse de gondole et des pilotis calcinés. C’est soir de Carnaval à Venise. Tout est possible. Trinquant, buvant, de jeunes patriciens  portant des masquent s’amusent, s’enivrent de vin et de femmes. Ils dissertent sur la vie, sur la fête, sur demain. Hommes d’armes, ils doivent se rendre sur la terre ferme pour accompagner une délégation en pour parler avec l’auguste duc de Ferrare. L’alcool aidant, ils se livrent aux pires digressions, rapportant ragots, rumeurs et méfaits, sur la femme de ce dernier, la terrible et venimeuse Lucrèce Borgia (éblouissante Elsa Lepoivre). Seul le jeune Gennaro (troublant Gaël Kamilindi) reste en retrait. Ne connaissant pas ses parents, il n’a pas eu à subir les foudres de la belle Duchesse.

Alors qu’il est seul, endormi, apparaît telle une déesse, une beauté blonde. Elle s’avance, droite fière. A chaque pas, ses dames l’aident à revêtir ses magnifiques atours. Masquée, divine, elle s’approche tendrement du jeune homme. À ses côtés, perplexe, étonné, Gubetta (fascinant Thierry Hancisse en alternance avec Christian Hecq), son âme damnée, observe ce singulier manège. C’est la première fois, qu’il voit sa maitresse regretter ses actes, rêver de clémence, de magnanimité et imaginer une autre vie moins sulfureuse, plus apaisée. Mais, personne n‘échappe à son destin et surtout pas une Borgia. Prête à tout pour protéger ce fils né de l’inceste, elle ne pourra empêcher le drame à venir. Victimes des hommes, de son sulfureux nom, elle paiera le prix fort de sa trop tardive rédemption.

En s’inspirant de ce personnage de légende que l’histoire a couvert de boue avant de le réhabiliter quelque peu ces dernières années, Victor Hugo signe une pièce noire, un brin ampoulée, qui puise ses fondements dans les plus terribles tragédies grecques. Noircissant l’âme de cette fille de pape, au nom sulfureux, il en fait une héroïne fascinante, effroyablement cruelle, dont la dure cuirasse s’effrite pour l’amour d’un fils, pour un geste de tendresse. Par sa mise en scène funèbre et baroque, Denis Podalydès souligne toute la dualité de Lucrèce, toute la violence qui habite son cœur de femme dans un siècle d’hommes. Convoitée autant que honnie, elle s’arme, vénéneuse, pour protéger son cœur de mère d’un monde qui la rejette.

Dans le magnifique écrin concocté par Eric RufElsa Lepoivre fait revivre l’incandescente Borgia. Elle lui insuffle grâce et humanité. S’éloignant de l’interprétation plus retenue de Guillaume Gallienne, elle fait battre magistralement le cœur de Lucrèce. Bouleversante, fascinante, elle explose littéralement et confirme si c’était nécessaire son statut d’étoile du Français. Face à elle, le tout nouveau pensionnaire de la maison de Molière, Gaël Kamilindi se glisse dans la peau de Gennaro, le fils incestueux de la duchesse. Félin, il donne à son personnage une dimension romantique, bouleversante.

Moins rigide que Suliane Brahim, dont il reprend, le rôle, il poursuit au côté de Julien Frison et de la jeune garde du Français – Marie Oppert, Adrien Simion et Sefa Yeboh – un joli parcours. À leur côté, Thierry Hancisse, inspiré par l’interprétation de Christian Hecq, qui a crée le rôle, campe un Gubetta burlesque qui fait souffler sur la tragédie un vent frais, drôle, une respiration comique dans ces sépulcrales destinées. Enfin, Eric Ruf revient pour notre plus grand plaisir sur les planches et incarne à merveille ce duc jaloux, maladif et cacochyme. Souffreteux, emporté, rusée, il est tout simplement exceptionnel.

Loin d’être réellement différente de la très réussie version qui a vu triompher Gallienne deux ans durant, cette reprise est éblouissante, brillante. Un bijou étincelant à voir et revoir sans compter !


Lucrèce Borgia de Victor Hugo 
Salle Richelieu
Comédie-Française
Place Colette
75001 Paris

jusqu’au 1er avril 2024 
Durée 2h10 sans entracte

Mise en scène de Denis Podalydès assisté de Alison Hornus
Avec Éric Ruf, Thierry Hancisse en alternance avec Christian Hecq, Elsa Lepoivre,  Pierre Louis-Calixte, Gilles David, Julien Frison, Gaël Kamilindi, Marie Oppert, Adrien Simion, Sefa Yeboh

et les comédiennes et les comédiens de l’académie de la Comédie-Française Pierre-Victor Cabrol, Alexis Debieuvre, Élodie Laurent, Marianne Steggall, Léna Tournier Bernard 
Scénographie d’Éric Ruf assisté de Dominique Schmitt 
Costumes de Christian Lacroix
Lumières de Stéphanie Daniel
Son de Bernard Valléry
Travail chorégraphique – Kaori Ito
Maquillages et effets spéciaux – Dominique Colladant
Masques de Louis Arene
Assistanat aux maquillages – Laurence Aué et Muriel Baurens

Le décor et les costumes ont été réalisés dans les ateliers de la Comédie-Française

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