Barres de métal accrochées aux cintres, sol noir brillant, le plateau imaginé par Thomas Caley, Éric Wurth et Petter Jacobsson, lequel cédera sa place en tant que directeur du Ballet de Lorraine à Maud Le Pladec à la fin de l’année, est un écrin quadrillé où se mirent les corps en mouvement. S’amusant à varier les tempos, à conjuguer les styles d’hier, d’aujourd’hui et peut être de demain, dans une partition où la musique de Stravinsky caracole avec celle de Steven Reich, les deux chorégraphes entraînent vingt-deux excellents danseurs dans une folle ronde aux accents post-modernes, où l’on entrevoit dans un geste, un mouvement l’héritage de Merce Cunningham ou de Trisha Brown.
Dans ce ballet incessant, telle une foule pleine de vie, les interprètes traversent la scène, se coursent pour mieux se séparer en entités tournoyantes. Bras vers le haut, jambes tendues, grands jetés, sauts aériens, ils habitent le plateau avec fougue et fièvre. Le temps se suspend. Le jeu de miroir renvoie leur image en démultiplié. Les lumières d’Éric Wurth en soulignent la plastique, l’esthétisme. Habillés comme des joueurs de foot destroy — le visage de chaque artiste est imprimé sur chaque vêtement en noir et blanc —, les membres du corps de ballet, qu’ils ont savamment choisi au fil de ces treize années à la tête du CCN, se laissent porter par l’écriture de Petter Jacobsson et Thomas Caley qui joue des ruptures permanentes de grammaire, créant ainsi une sorte de succession d’instantanés virevoltants et hypnotiques. Maîtrisant parfaitement les langues et les orthographes qu’ils emploient, ils tirent leur révérence chorégraphique à Nancy sur une note tout en effervescence et contrastes qui fait écho à l’état du monde.
Du noir et blanc à la couleur
Après un court entracte, Marco da Silva Ferreira s’empare de l’espace de jeu et invite à une danse bigarrée, déjantée et dégenrée. Son écriture intense et hyper pulsée emporte les corps des danseurs et danseuses dans une sorte de battle géante où la musique baroque du compositeur italien Arcangelo Corelli revisitée techno par Luis Pestana les traversent jusqu’à l’os. Rampant tels des insectes sortant des coulisses, trois interprètes en vêtements de clubbing s’approprient le plateau. Vibrant aux sons des basses, ils ondulent, se jaugent et se lancent dans l’arène. Rejoints petit à petit par le reste de la troupe, ils se défient les uns, les autres, s’encouragent et entrent sur la piste le cœur gonflé à bloc.
Fidèle à une esthétique qui puise dans les danses traditionnelles et qu’il irrigue d’une ambiance clubbing extatique, le chorégraphe à la tête de la cie Pensamento Avulso déploie une écriture tous azimuts mais extrêmement ciselée. Aucun geste n’est au hasard, tout est fait pour embarquer scène et salle dans une union des corps et des âmes. Très spectaculaire, A Folia, référence à une danse folklorique apparue au XVe siècle au Portugal dont le thème a beaucoup inspiré Arcangelo Corelli, fait trembler les murs de l’opéra et emporte dans un singulière farandole,qui se construit et déconstruit à vue. Tourbillon sonore et chorégraphique, cette création pour le Ballet de Lorraine confirme le talent débridé de Marco Da Silva Ferreira. Saisissant le public par la forme très punchy de son œuvre, il vient parfaitement compléter ce deuxième programme tout en exigence et virtuosité. L’écriture contemporaine sous toutes ses formes sied à merveille au Ballet de Lorraine, qui n’a pas fini de nous surprendre !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Nancy
Programme 2 du Ballet de Lorraine
Première le 7 mars 2024 à l’Opéra national de Lorraine
Place Stanislas
54000 Nancy
Jusqu’au 12 mars 2024
durée 1h30
Instantly Forever de Petter Jacobsson et Thomas Caley
Une pièce pour 22 artistes chorégraphiques du CCN – Ballet de Lorraine
Musiques d’Igor Stravinsky, Steve Reich
Scénographie de Petter Jacobsson et Thomas Caley avec Eric Wurtz
Lumière d’Éric Wurtz
Costumes de Birgit Neppl
Réalisation des costumes – Atelier costumes du CCN – Ballet de Lorraine
Répétitrice – Valérie Ferrando
A Folia de Marco da Silva Ferreira
assisté de Catarina Miranda
Musique de Luis Pestana
Musique inspirée de la musique d’Arcangelo Corelli Violin Sonata in D minor « La Folia », Op. 5 N°12
Costumes d’Aleksandar Protic
Lumières de Teresa Antunes
Répétitrice – Valérie Ferrando