Avec élégance et sobriété, le Grand Palais célèbre admirablement le centenaire de la naissance d’Irving Penn. Les murs aux différentes nuances de gris qui servent d’écrin à la rétrospective consacrée à l’un des plus grands photographes américains du XXe siècle soulignent merveilleusement la pureté des lignes des tirages en noir et blanc de cet artiste passionné et minutieux.
Dès que l’on est confronté aux premières œuvres d’Irving Penn, une impression de sérénité, d’équilibre fragile et de minutie nous saisit. Les ombres, les courbes que le noir et blanc intensifient, que les couleurs rares, mais très contrastées éclairent, définissent son style dont il ne se départira jamais. Évidemment au cours de sa très longue carrière, il a modifié son regard, modulé son approche, mais il a toujours fait de ses photographies des tableaux, rappelant les natures mortes de quelques maîtres flamands, les portraits esquissés par quelques artistes du cinquecento italien.
Chez Penn, rien n’est laissé au hasard, ni ces grains de poivre abandonnés dans une cuillère en bois devant une pièce de bœuf, ni cette mouche posée sur un citron dans une corbeille de fruits. Tout prend sens et participe à l’esthétisme voulu par ce grand photographe, qui se définissait lui-même comme un « peintre raté ». D’ailleurs, ni Alexey Brodovitch du Harper’s Bazaar qui l’a formé, ni Alexander Liberman qui l’a engagé pour imaginer les couvertures de Vogue, ne s’y sont trompés. De son regard scrutateur de sculpteur d’images, il a, tout au long de ses longues collaborations, saisi avec élégance l’instant, une attitude comme si finalement objets et corps n’étaient que des éléments au service d’une composition, d’une nature morte.
Dépassant le cadre de la photographie de mode, Irving Penn a su faire de son travail un art qui a toute sa place sur les cimaises d’un musée. Pour s’en persuader, il suffit d’arpenter les salles de cette rétrospective itinérante, concoctée par deux commissaires d’exposition du Metropolitan Museum of Art de New York, qui pose pour quelques mois ses valises, contenant plus de 230 tirages, à Paris avant de s’envoler pour l’Allemagne et le Brésil.Que ce soit des portraits de célébrités ou d’indiens du Pérou, des séries mode, des natures mortes ou des nus, le photographe américain a, avec la minutie qui le caractérisait, toujours su dépasser la réalité, qu’il trouvait insupportable, et à aller au-delà de l’image pour créer une œuvre picturale de toute beauté. Loin de suivre le mouvement de la Street photography, qui a marqué tout une époque, Irving Penn n’a travaillé qu’en studio, que ce soit celui bien installé à Manhattan, celui portatif qu’il faisait suivre lors de ses déplacements – visible au détour d’une salle -, ou celui emprunté à ses confrères étrangers.
Des inconnus, qu’ils soient issus de tribus africaines reculées ou détendeurs d’un métier en perdition dans le Paris des années 1950, aux stars qu’il a immortalisés sur pellicule, l’artiste a toujours cherché à voir ce qui se cacher derrière le masque, à ne jamais s’arrêter à la première impression, mais à traquer les fêlures qui révèlent l’insaisissable personnalité de chacun. Toujours à la recherche de la perfection, Irving Penn a su tirer une étonnante magie, une impression fugace d’intemporalité irréelle, de ces corps de femmes bien en chair, mais sans tête, de ces mégots ramassés dans la rue, de ces fleurs séchées. Il était donc logique et nécessaire que pour les 100 ans de sa naissance, différents musées à travers le monde célèbrent ce virtuose des formes et des lignes épurées, ce talentueux photographe qui durant 60 ans a collaboré avec le fameux magazine Vogue. Une exposition rare, intense à ne pas rater, un talent fascinant à (re)découvrir.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Irving Penn
Jusqu’au 29 Janvier 2018
Grand Palais, Galeries nationales
Ouvert tous les jours de 10h à 20h sauf le mardi, nocturne le mercredi jusqu’à 22h
Prix 13 euros