S’inspirant de Zouk, l’inénarrable humoriste suisse, vêtue de noir, et tout particulièrement de son premier spectacle L’Alboum, la lumineuse Lætitia Dosch, et son compère Yuval Rozman, signe une pièce à identités multiples qui déroute autant qu’elle fascine, un spectacle hors-norme qui convoque sur scène près d’une centaines de personnalités névrosées par le climat sociétal actuel. Singulier !
Portant un jean et un haut simple en soie rose, Læititia Dosch erre sur scène en attendant que le public s’installe. Regard éthéré, sourire mystérieux aux lèvres, elle scrute la salle, se dirige vers les nouveaux arrivants, les accueille d’un mot, d’un geste. Troublante, la comédienne s’amuse de cet étonnant dialogue, de ce chassé-croisé d’œillades chaleureuses autant qu’embarrassées. Sympa, la jeune femme, voyant des places encore vides, nous propose d’attendre ensemble, encore quelques minutes les retardataires, qui feront, bien évidemment, une entrée sous un tonnerre d’applaudissements.
Détournant une dernière fois notre attention, crispant son visage en une mimique fort peu agréable, tordant sa bouche, elle laisse apparaître le premier des personnages qui vont constituer l’étonnante galerie de portraits que la comédienne rassemblent sur scène pour mieux dépeindre le malaise qui ronge notre société angoissée. Modulant sa voix avec aisance, changeant de tête avec virtuosité, Lætitia Dosch est cette voyante connue qui pérore devant la véracité de ses prédictions, ce psy rustre et désagréable qui apostrophe ses patients, cette mère de famille débordée incapable de gérer ses enfants, cette femme au bord de la crise de nerfs.
Avec une voracité furieuse, la comédienne se glisse d’une personnalité à l’autre. Véritable feu follet, elle ne s’appesantit jamais sur tel ou tel caractère, pour mieux dire l’urgence de notre monde, que la crise économique, les attentats et l’irrespect, a marqué à jamais d’une encre noire, indélébile. Forçant le pas, accentuant une sensation de mal-être au sein de son auditoire, Lætitia Dosch impose une surimpression d’images de moments volés dans la rue, dans un bar, dans les locaux de pôle emploi. Se nourrissant des rencontres improbables du quotidien, aidée par son complice Yuval Rozman, un comédien et metteur en scène israélien, elle reprend avec plus ou moins de succès, 40 ans plus tard, la trame du premier spectacle de l’humoriste suisse Zouk qui s’inspirait de ses observations en centre psychiatrique.
Si la performance de la jeune femme séduit et enchante, si sa présence lumineuse irradie la scène, le côté zapping du spectacle laisse nombre de spectateurs sur le carreau, décontenancés, déroutés par cet ensemble patchwork de névrosés des temps modernes. Perdu dans ce maelstrom presque schizophrénique de personnalités multiples, le public rit parfois, mais le plus souvent se demande bien où tout cela peut bien mener. Mais la finalité de cet ovni théâtral n’est il pas tout simplement de ne donner qu’une tonalité, une couleur à ce qui nous entoure, une impression fugace d’une société à bout de souffle ? À chacun de se faire son ressenti.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Un album de Lætitia Dosch et Yuval Rozman
Théâtre du Rond-Point – salle Jean Tardieu
2bis, avenue Franklin D. Roosevelt
75008 Paris
jusqu’au 5 novembre 2017
du mardi au samedi à 21 h et le dimanche à 15h30, relâche les lundis, le 17 octobre et le 1er novembre 2017
durée 1h15
Un spectacle de et avec Lætitia Dosch
Co-mise en scène et aide à l’écriture : Yuval Rozman
Regard extérieur : Fanny de Chaillé, Florian Pautasso
Lumières : Jonas Buhler
Régie générale : Marco Laporte
Administration, production, diffusion et presse : AlterMachine – Élisabeth Le Coënt, Camille Hakim Hashemi
Crédit photos © Giovanni Cittadini Cesi / Crédit illustration © Stéphane Trapier