Des ombres et des armes est dans la même veine que La chute d’une nation, feuilleton théâtral en 4 épisodes sur le monde politique et sa suite, Les témoins, sur la crise de la presse. Yann Reuzeau, c’est une écriture intense et vive. Il est un des premiers à s’être inspiré du style narratif cinématographique. Ses pièces sont composées, comme un scénario, de séquences brèves qu’il imbrique. Ses mises en scène en possèdent également le rythme. C’est comme si on regardait une bonne série, mais au lieu d’être devant un écran, on est au théâtre. L’effet est prodigieux.
Un suspense intense, au cœur du drame humain
Depuis des années, le terrorisme est une guerre de l’ombre. On ne sait jamais quand il va lâcher ses attaques. Les attentats du 13 novembre 2015 sont à tout jamais inscrits dans notre mémoire collective. Reuzeau raconte le quotidien d’un groupe de la DGSI dont la mission est de traquer ces ennemis de l’invisible afin de mettre en échec leurs projets. À la suite d’une opération chaotique destinée à éviter un nouvel attentat, ils ont perdu la trace d’un des meneurs djihadistes. L’homme est dangereux. Il faut à tout prix le retrouver. Quelle stratégie faut-il employer ? Qui sera celui qui les amènera à sa planque ? Les membres du groupe, ébranlés par les doutes et la fatigue, vont se déchirer et exploser en plein vol.
Loin de tout manichéisme, l’auteur ne met pas face à face les méchants et les gentils. Il le sait tout cela est bien plus complexe. Constitués de failles, ses personnages sont tous cabossés. On ne mène pas une guerre sans y laisser son âme. L’artiste pose son prisme sur le combat intérieur que mènent Katia, Niels et Nour, les policiers, et sur celui de Sofiane et Abdel, deux jeunes qui un jour, ont été tentés par le djihadisme. En parallèle, Reuzeau insère une autre histoire de terrorisme, celle qui se nourrit de l’extrême droite et qui s’avère toute aussi menaçante.
Une machinerie théâtrale tourbillonnante
Ce fabuleux conteur sait mettre en image ses récits, leur insufflant une dynamique que l’on trouve plus souvent dans le 7e art. Un peu comme pour un plan-séquence, il nous montre « une prise de vues unique se déroulant en plusieurs endroits d’un même lieu ou successivement en plusieurs lieux reliés l’un à l’autre. » Il utilise toutes les possibilités de la boîte noire. Constituée de colonnes mouvantes et transformables, sa scénographie est très ingénieuse. Dans une belle fluidité et en un rien de temps, nous voilà projetés dans les différents endroits où se déroule sa captivante histoire.
On peut compter sur la composition des personnages, et ils sont nombreux, pour nous tenir en haleine. Sur le plateau, ils ne sont que sept et se glissent aisément dans les différents protagonistes de l’histoire. Aurélie Cuvelier Favier, Matěj Hofmann, Melki Izzouzi, Loïc Risser savent apporter toutes les nuances nécessaires à cet exercice. Nous accordons une mention spéciale à Charif Ethan Al Ramlat et Gabriel Valadon, qui font des premiers pas très prometteurs. Sophie Vonlanthen, muse de l’auteur, incarne un seul personnage. Sur le fil de la colère, elle est l’ambiguë Katia, qui voit toutes ses certitudes s’effriter et doit faire des choix douloureux. Bravo.
Marie-Céline Nivière
Des ombres et des armes, texte et mise en scène Yann Reuzeau.
Manufacture des Abbesses
7 rue Veyron
75018 Paris.
Reprise du 22 août au 3 novembre 2024.
Durée 2h.
Avec Charif Ethan Al Ramlat, Aurélie Cuvelier Favier, Matěj Hofmann, Melki Izzouzi, Loïc Risser, Gabriel Valadon, Sophie Vonlanthen.
Lumières d’Elsa Revol.
Scénographie de Goury.
Assistante à la mise en scène Clara Leduc.