Le carnaval bat son plein. Les chars du Roi et de la Reine attendent sagement dans leur enclos le départ du défilé. La ville est à la fête. Pourtant, en empruntant le tramway on s’aperçoit vite que d’autres prennent le chemin inverse sur la promenade des Anglais, pour se rendre à l’autre bout de la ville. Une partie des usagers ne parle que du Australian Pink Floyd show, l’autre d’opéra et de théâtre. On ne peut pas faire plus dans la diversité culturelle !
Il y a des œuvres qui se font attendre. En 2009, sous la demande du Ministère de la culture et de la communication, Laurent Petitgirard compose Guru. L’année suivante, le disque est enregistré et le spectacle doit être monté, mais cette création tombe à l’eau. Finalement, après avoir été créé en Pologne en 2018, il arrive enfin dans la capitale des Alpes Maritimes dans une nouvelle production. Cette création française n’a pas lieu dans la prestigieuse salle de l’Opéra mais à La Cuisine. Cet ancien théâtre éphémère de Carouge sert actuellement de grande salle au Théâtre national de Nice. Sortir des ors classiques pour du moderne, voilà qui sied bien à une œuvre contemporaine.
Laurent Petitgirard est un compositeur et chef d’orchestre prestigieux. Le grand public le connaît surtout pour ses musiques de films et de télévision. Les connaisseurs savent que l’artiste est plus que cela et que son œuvre, composée de musiques symphoniques, de ballets, de musiques de chambre, est immense. Son premier opéra, Joseph Merrick dit Elephant man, a été créé en 2002 à l’Opéra d’État de Prague dans une mise en scène de Daniel Mesguich. Guru est donc son deuxième. Un troisième, Houdini, est en préparation avec son fils, le metteur en scène Tristan Petitgirard. L’association d’un père à la composition et d’un fils au livret est une première dans l’histoire de la musique.
Au cœur du drame
Muriel Mayette-Holtz, qui dirige le TNN depuis 2019, connaît bien la salle et toutes les possibilités qu’elle offre. Ici point de fosse d’orchestre mais un plateau destiné à accueillir du théâtre. C’est ce challenge qui l’a attiré et qui nous a totalement séduits. L’orchestre est situé au fond du plateau et toute l’action se situe à l’avant-scène. Au-dessus, un écran géant qui, par un effet optique, ouvre une troisième dimension. La scénographie permet à la fois de sortir du cadre et de se focaliser sur les personnages. Pour une première incartade dans la mise en scène d’opéra, la metteuse en scène signe ainsi un ouvrage remarquable.
Inspiré du drame de Jonestown, dans lequel, en 1978, neuf cent personnes suivirent leur gourou dans la mort, mais aussi de ceux causés par l’Ordre du Temple Solaire, cet opéra tourne autour de la secte. Sur une île, un homme appelé Guru règne en maître sur des pauvres âmes perdues prêtes à croire à tout et surtout à l’improbable, à ne se nourrir que d’eau de mer pour être sauvées. Une nouvelle arrivante, Marie, va tenter de raisonner ses camarades. Peine perdue : sans le savoir, elle dérègle totalement l’ordre et fait plonger le gourou définitivement dans la folie.
Un ensemble au diapason
Si le texte de Xavier Maurel ne convainc pas totalement, il possède toutefois de très beaux passages. On retiendra surtout ce cri déchirant d’Iris, la mère qui pleure son enfant mort. La soprano Anaïs Constans, montant dans les aigus, bouleverse. Le livret possède quand même la qualité de sa progression dramatique et de l’épaisseur qu’il offre aux personnages. La partition, dirigée par le maestro et interprété par l’Orchestre philharmonique de Nice, est exigeante. Dès que l’on en comprend le mécanisme, celui d’être en « parfaite accointance avec l’action » et la démence du gourou, on se laisse prendre à sa puissance.
Le baryton argentin Armando Noguera est un Guru exceptionnel. La qualité de son jeu scénique montre bien la force de cet être machiavélique qui sait faire tourner toute situation à son avantage et manipuler les gens. Frédéric Diquero et Nika Guliashvili sont de parfaits hommes de main. Dans le rôle de Marthe, la mère de Guru, Marie-Ange Todorovitch est aussi effrayante que touchante. Les six jeunes artistes du CALM (Centre Lyrique de la Méditerranée) et le chœur de l’Opéra de Nice représentent bien les tourments de ces adeptes en quête d’espoir. Il reste Marie, celle qui ose défier. Ce rôle n’est pas chanté, mais déclamé selon un rythme particulier, où le texte dit et la musique semble ne faire qu’un. La comédienne Sonia Petrovna réalise une magnifique performance qui nous a laissés sans voix !
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Nice
Guru, opéra de Laurent Petitgirard
Théâtre National de Nice en coproduction avec l’Opéra de Nice
Salle de La Cuisine
155 bd du Mercantour
06200 Nice.
Mardi 20, jeudi 22, samedi 24 février 2024.
Durée 2h.
Direction musicale Laurent Petitgirard.
Mise en scène Muriel Mayette-Holtz
Livret Xavier Maurel
Chœur de l’Opéra de Nice
Orchestre Philharmonique de Nice.
Avec Armando Noguera, Sonia Petrovna, Anaïs Constans, Frédéric Diquero, Nika Guliashvili, Marie-Ange Todorovitch et la participation des artistes du CALM (Centre Art Lyrique de la Méditerranée) : Rachel Duckett, Noelia Ibañez, Aviva Manenti, Raphael Jardin, Eduard Ferenczi Gurban, Trystan Aguerre.
Décor et costumes de Rudy Sabounghi.
Vidéo de Julien Soulier.