Dans un Paris gris, deux êtres esseulés, une vielle dame acariâtre et un jeune homme, un peu benêt, apprivoisent leur solitude. Quittant le théâtre de boulevard, Jean Robert-Charrier signe une comédie douce-amère efficace et sensible sur l’exclusion de la vieillesse et de la différence dans nos sociétés consuméristes. Bien qu’imparfaite, la pièce touche par sa tendresse et son humour léger.
Percluse de douleurs rhumatismales, une vielle dame, répondant au doux prénom de Jeanne (épatante Nicole Croisille) découpe inlassablement des journaux. Vivant recluse dans son appartement parisien qui tutoie les cimes et dont la déco n’a pas changé depuis son installation dans les années 1960, elle comble sa solitude avec des menus travaux et en espionnant son voisinage, en quête de quelques ragots. Abandonnée de tous, apeurée au moindre bruit, elle a transformé son logis en forteresse imprenable.
S’amusant des déboires des habitants du quartier qu’elle n’a jamais quitté, se moquant des gens sans avoir l’air de pas y toucher, devenue acariâtre et méfiante, elle s’est isolée du monde et s’est empoisonnée l’âme de toutes ses rancœurs accumulées depuis des années. Son petit monde noir, sombre, est chamboulé par l’arrivée dans son quotidien d’un étrange et taciturne jeune homme, Marin (ténébreux Charles Templon). Payé par les services sociaux de Paris pour favoriser l’entraide intergénérationnelle et redorer l’image de la ville à l’approche des prochaines élections, il lui apporte tous les jours d’immondes plateaux-repas. Très vite, ces deux êtres en mal de vivre vont apprendre à se connaître, à s’apprécier, à se confier et peut-être à s’aimer.
Avec tendresse et mélancolique, Jean Robert-Charrier s’empare d’un sujet de société délicat, la solitude des personnes âgées. Changeant totalement de registre, il nous livre une autre facette de sa personnalité, de sa sensibilité. Loin des « running gags » et des divas blondes et foldingues, le jeune directeur du théâtre de la Porte Saint-Martin signe une comédie aigre-douce, touchante et poétique, qui cache derrière quelques traits caustiques, quelques répliques bien senties, la réalité bien triste d’un monde consumériste en manque d’humanité. On peut juste regretter que la mise en scène trop sobre, trop sage, de Jean-Luc Revol en diminue la portée caustique et sociétale. Faute d’un rythme plus soutenu, la pièce perd de son éclat sur la longueur, malgré des jeux d’ombre et de lumière particulièrement ingénieux.
Au-delà du texte joliment tourné par Jean Robert-Charrier, l’interprétation fine de Nicole Croisille est un délice aigre-doux des plus savoureux. Sa gouaille de vieille dame indigne et odieuse, captive. Lorsque le masque tombe, qu’elle se libère des démons du passé qui ont pourri trop longtemps son existence, son jeu tout en retenu émeut et bouleverse. Face à elle, Charles Templon prend plaisir à jouer les jeunes hommes patauds et un brin limité. S’enlaidissant, accentuant sa démarche de titi parisien, il insuffle à son personnage une profondeur et une densité lui donnant une humanité vibrante. Mais, le véritable joyau du spectacle est sans nul doute la présence lumineuse et réjouissante de Florence Muller. Chacune de ses désopilantes apparitions en conseillère municipale aux dents longues, est un festival de drôlerie et d’humour décalé.
À quelques bémols prêts, on se laisse séduire par cette bien plaisante Jeanne. Un moment de théâtre qui réveille gentiment nos consciences et nous invite à plus de solidarité.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Jeanne de Jean Robert-Charrier
Théâtre du petit Saint-Martin
17, rue René Boulanger
75010 Paris
jusqu’au 31 décembre 2017
du mardi au vendredi 19h et Samedi à 16h30 et 21h.
Durée 1h30
Mise en scène Jean-Luc Revol assisté de José-Antonio Pereira
Avec Nicole Croisille, Charles Templon, Florence Muller, Geoffrey Palisse
Décors de Sophie Jacob
Costumes de Michel Dussarrat
Lumières de François Menou
Sons de Bernard Valléry
Coiffures-Perruques de Michelle Bernet
Crédit photos © Christophe Vootz