Comment la danse est-elle entrée dans votre vie ?
Sylvain Riéjou : J’ai commencé la danse classique en primaire. Puis j’ai arrêté à mon entrée au collège. La discipline était trop stigmatisée. On me traitait déjà de « pédé », je n’avais pas envie d’en rajouter. Je me suis donc inscrit à l’atelier théâtre. Puis en première, j’ai repris la danse. En discutant avec des amis qui n’avaient cessé de pratiquer, je me suis rendu compte que cela me manquait. À l’époque, c’était pour moi un hobby comme d’autres font du sport ou de la musique. D’où je viens, les environs de Sablé-sur-Sarthe, j’avais peu accès au spectacle vivant. Je ne pensais pas qu’on pouvait en faire son métier. Ce n’est qu’en 2000 en découvrant au CNDC d’Angers, le travail de Régis Obadia et de Pina Bausch que le déclic s’est fait.
Quelle est la genèse de Je badine avec l’amour… ?
Sylvain Riéjou : C’est une histoire assez intime. J’ai longtemps galéré à rencontrer quelqu’un, à trouver la personne avec qui j’aurais envie de faire un bout de chemin. J’ai essuyé pas mal de désillusions, eu des peines de cœur. En discutant avec mes proches, je me suis rendu compte que je n’étais pas seul dans ce cas, qu’on était nombreux à croire au prince ou à la princesse charmante, mais que ce « il » ou cette « elle » n’existe que dans les romans et les comédies romantiques. L’être parfait, qui soit à la fois l’amant extraordinaire, un brin mystérieux, le meilleur ami, le protecteur, est une utopie, voire une vaste fumisterie. De ce fait, beaucoup de gens souffrent de célibat, faute de trouver cette fameuse moitié idéale. Pour être heureux, il faut accepter que l’autre soit imparfait, que le lien qui nous unit se construise au jour le jour. Rien n’est inné. On ne tombe pas amoureux, on bâtit une histoire sur le long cours. Cela m’a donné envie de questionner notre vision fantasmée de l’amour. En tant qu’homme homosexuel, j’avais d’autant plus envie de voir comment la culture « meanstream » qui met en scène des relations hétérosexuelles complexifiait ma manière d’appréhender le couple. À qui s’identifier ? J’ai beau être attiré par les hommes, je n’en suis pas moins homme. Cette confusion des genres, des sentiments et des émotions a donc été le point de départ de Je badine avec l’amour. Le spectacle devait être solo, mais je me suis rendu assez vite compte que cela touchait tout le monde, homo comme hétéro. Les stéréotypes ont la peau dure et n’épargnent personne.
Justement, comment le projet c’est développé autour d’un quatuor d’artistes ?
Sylvain Riéjou : Un peu comme je le raconte dans le spectacle au fil de l’eau et des répétitions. Mon processus créatif tourne beaucoup autour de ce qu’on appelle l’autofiction, c’est à dire que je joue avec la réalité. Je transforme en œuvre artistique des choses que j’ai vécues ou observées. Mon quotidien me sert de matière première. Au début, j’avais donc envisagé de parler de mes histoires d’amour avec mon double virtuel, d’autant que je venais de lire un livre qui évoquait l’homosexualité comme une quête d’un autre soi-même. Très vite, je me suis rendu compte que cela ne fonctionnait pas, j’ai donc fait appel à un danseur que je connaissais, Julien Gallée-Ferré. Puis comme Émilie Cornillot était déjà assistante sur mes précédents solos, je l’ai invitée à nous rejoindre au plateau. Enfin, comme je voulais explorer tous les couples possibles, j’ai proposé à Clémence Gaillard de venir compléter la distribution. Tout, c’est fait à l’instinct au fur et à mesure de la production et de la création.
Une de marque de fabrique de votre spectacle est l’autodérision, mais aussi votre manière de croquer le monde de la danse en vous adressant autant aux néophytes qu’aux non-initiés….
Sylvain Riéjou : C’était important pour moi que tout le monde s’y retrouve. D’ailleurs, j’ai amené, il y a peu mon neveu de douze ans. Sa première réaction a été de me dire : « j’ai adoré quand vous faites les poissons morts au sol. » Il n’avait pas la référence sur la formation de danse contemporaine que l’on parodie, mais il a compris l’essentiel, qu’à travers cette séquence on joue avec les clichés. Je trouvais amusant de partir des préjugés, des stéréotypes pour mieux les détourner et inviter les spectateurs à dépasser leurs idées préconçues que ce soit sur la danse mais aussi sur les relations amoureuses. Et puis ça me plaisait beaucoup que l’on découvre le parcours de chacun à travers une sorte de portrait façon profil « meetic ».
C’est un spectacle drôle, exigeant et populaire…
Sylvain Riéjou : Merci. C’est en tout cas ce que j’avais envie de faire. La danse, contrairement à son image élitiste, est un art universel, certainement l’un des premiers qui a existé. Je pense que depuis la nuit des temps les gens dansent. L’important n’est pas de comprendre le geste du chorégraphe, mais de se laisser porter par ce que l’on ressent. C’est quelque chose de très organique. Il faut accepter de se laisser porter par l’esthétisme, la beauté, ce que le mouvement évoque en nous. Ce n’est pas toujours simple et beaucoup de gens sont réticents. Je crois d’ailleurs que c’est pour cette raison que j’ai souhaité dans mes spectacles prendre le contre-pieds de l’abstraction et être didactique. De ce fait, j’explique tout, espérant ainsi inclure le public au spectacle et le toucher. Pour ce qui est de la forme comique, je dois beaucoup à Olivier Martin -Salvan. J’ai été chorégraphe sur sa pièce Ubu. Ce fut une expérience incroyable. Je n’ai jamais autant ri durant les répétitions. L’ambiance de travail était incroyable. Je n’avais jamais connu cela en danse. J’ai eu envie de reproduire cela, de convoquer cet esprit libre et drôle. J’espère y être arrivé autant au plateau que dans la salle. Un autre point important, dont je suis assez fier, c’est que le spectacle est programmé autant dans des festivals qui questionnent le genre qu’au Théâtre de la Ville, mais aussi dans de petites salles de province. Cela permet de toucher un très large public.
Vous êtes programmé au festival Everybody, organisé par le Carreau du Temple, qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Sylvain Riéjou : Je connais sa directrice Sandrina Martins, depuis 2012 quand elle était programmatrice pour Marseille, Capitale européenne de la Culture. Elle a suivi ma carrière en tant que danseur, puis chorégraphe. C’est quelqu’un d’assez « cash ». Elle m’avait prévenu que « ce n’est pas parce qu’on est amis que je vais forcément prendre tes spectacles ou les coproduire. » J’aime beaucoup cette franchise, cette honnêteté. C’est un regard extérieur nécessaire pour nous artistes, car il permet d’avancer. J’ai une relation similaire avec Frédérique Latu à la tête des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis. Elle a beaucoup aimé mes premiers solos, deux ont été présentés au Carreau du Temple dans le cadre du Festival Danse Dense initié par Émilie Peluchon et du Festival de l’Étoile du Nord, mais c’est la première fois qu’elle programme véritablement un de mes spectacles. C’est très important pour moi sa confiance. Et puis le lieu est au centre de Paris, pratique d’accès pour tous, cela permet de toucher des jeunes de banlieue.
Vous avez présenté cet été une étape de travail de Je badine avec l’amour à Avignon à la Belle Scène Saint-Denis. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
Sylvain Riéjou : une belle visibilité que ce soit au niveau de la presse qu’au niveau des programmateurs. Beaucoup sont venus pour découvrir mon travail et ont l’envie de découvrir la pièce finie. La plupart ont été séduits et ont mis des options. Cela m’a aussi permis d’éprouver mon geste artistique avec un public, voir sa réaction. Et puis nous avons pu lier des liens forts avec l’équipe du Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France, qui organise ce temps fort pendant le festival. C’est d’autant plus précieux que je suis artiste associé du lieu. Cela a permis de créer en toute sérénité et avec beaucoup de bienveillance.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Je badine avec l’amour (parce que tous les hommes sont si imparfaits et si affreux) de Sylvain Riéjou
Création le 24 novembre 2023 au festival Playground des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
Présenté du 19 au 20 janvier 2024 au TU de Nantes dans le cadre du Festival Trajectoires
Durée 1h15 environ
Tournée
12 et 13 février 2024 au festival Everybody, Carreau du Temple, Paris
14 février 2024 au festival waterproof, Le Triangle, Rennes
22 mars 2024 au festival + de genre, Klap, Marseille
22 mai 24 au festival Danse dans tous les sens, Chorège Cdcn, Quai des Arts, Argentan
20 septembre 2024 au Théâtre du Garde-chasse, Les Lilas
14 novembre 2024 au festival Forever Young, Le Vivat, Armentières
16 novembre 2024 au Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France
17 décembre 2024 au Centre culturel Athéna, Auray
19 décembre 2024 au Trident, Scène nationale, Cherbourg
14 février 2025 à l’Opéra de Limoges
Conception / Interprétation – Sylvain Riéjou
Création en étroite collaboration avec les interprètes – Émilie Cornillot, Julien Gallée-Ferré, Clémence Galliard
Contribution chorégraphique – Yoann Hourcade
Regards extérieurs – Tatiana Julien, Joachim Maudet
Création sonore – Émilie Denize
Lumières et régie générale – Sébastien Marc