Une femme en cire grandeur nature allongée, les yeux clos, avec de longs cheveux blonds naturels, mais les viscères à découvert. Cette endormie, à la fois magnifique et repoussante, connue sous le nom de La Venerina a été réalisée par Clemente Susini au XVIIIe siècle. C’est à elle que l’on pense à l’évocation du titre de la pièce de Sarah Baltzinger. Ces statues, dites vénus anatomiques, servaient pour enseigner l’anatomie au grand public et aux étudiants en médecine. Pour dissiper la terreur liée à la vision d’un cadavre, on mettait en scène ces femmes dans une lascivité apaisée.
Alors que le public prend place dans la superbe salle de l’Arsenal, les cinq interprètes sont déjà là, installées dans des positions improbables, immobiles, mais le regard inquisiteur, lointaines descendantes de ces modèles de cire. Comme exposées, elles aussi, dans une lumière un peu chirurgicale à la curiosité publique. Des personnes s’affairent autour d’elles. Elles les nettoient, les astiquent, comme si elles voulaient les montrer sous leur meilleur jour. Un intéressant préambule qui pose le propos sur le corps féminin livré en pâture et instaure un sentiment de malaise, nous plaçant dans une position de voyeurs.
Vénus affranchies
Dans Vénus anatomique, Sarah Baltzinger a choisi de réveiller ces femmes que l’on offrait à tous les regards. Au plateau, ses cinq interprètes arborent des morceaux d’anatomie en silicone par-dessus leurs costumes contemporains. Des plastrons qu’elles triturent dans tous les sens tentant de s’en dépouiller au fur et à mesure de la pièce. Elles ne sont pas seulement réveillées, elles incarnent une insoumission, un rejet des injonctions que la société impose aux corps féminins.
La gestuelle surprend d’emblée. Les contorsions et les passages au sol complexes mettent les corps à rude épreuve. Les visages sont souvent déformés de grimaces. Et quand l’une se met à parler, c’est pour dérouler un monologue au débit dense et implacable. Zéro faute pour le casting de ces Vénus affranchies. Les cinq interprètes sont très investies mettant au jour chacune à leur manière une plasticité singulière. Bien sûr, Chiara Corbetta, impressionnante liane élastique qui repousse très loin ses limites physiques épate dans un incroyable solo dont on ne sait s’il donne envie de rire ou de pleurer.
Force de frappe collective
La force de frappe de ce quintet est collective. Quand elles se déplacent en groupe, ces cinq danseuses dégagent une puissance brute qui saisit. Les trois-quarts de la pièce exercent d’ailleurs une fascination troublante. Dommage que l’élan retombe sur la fin donnant une sensation de déjà vu ou de relâchement dans la dramaturgie. Moins bien cadrées, les interprètes partent un peu dans tous les sens, la pièce s’étire en longueur et perd en intensité.
Malgré ces petites imperfections (nulle injonction dans cette remarque…), Sarah Baltzinger, peu connue encore en France en tant que chorégraphe, s’affirme avec cette pièce comme une créatrice à l’écriture qui surprend et bouscule. On suivra avec intérêt ses prochaines recherches chorégraphiques.
Claudine Colozzi
Vénus anatomique de Sarah Baltzinger
Création les 5 et 6 décembre 2023 au Grand Théâtre du Luxembourg
Vu le 18 janvier à L’Arsenal, cité Musicale de Metz (première française)
Durée : 1h10
Tournée
9 février à Micadanses Paris dans le cadre du festival Faits d’hiver.
25 mars 2024 au Festival We love girls au Centre culturel Opderschmelz à Dudelange (Luxembourg)
5 juillet 2024 au Festival Mimos à Périgueux (24)
Concept, direction artistique et chorégraphie : Sarah Baltzinger
Avec Chiara Corbetta, Shynna Kalis, Marie Lévénez, Clara Lou Munié, Océane Robin
Composition musicale de Guillaume Jullien
Dramaturgie d’Amandine Truffy, Isaiah Wilson et Sarah Baltzinger
Recherche documentaire – Alexandra Joly, Sarah Baltzinger
Scénographie de Marion Terranova