Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Je me souviens très bien de Kirikou, une comédie musicale, à la patinoire de Bordeaux. Et le cirque Arlette Gruss où ma mère m’emmenait chaque année, quelque chose comme ça, les paillettes, les clowns, la troupe ! C’est le show qui m’a attiré…
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
C’est un peu la question que j’aborde dans la pièce de Rébecca Chaillon, Plutôt vomir que faillir. J’ai découvert le théâtre sur internet, avec Au Théâtre ce soir, et puis par la littérature. C’est l’art qui m’a permis de survivre, de supporter l’ennui que je ressentais en classe avec les autres élèves et la morosité de ma banlieue bordelaise… Très sincèrement, je pense que c’était une nécessité vitale. J’avais tellement de questions et d’incompréhensions en tête, tout me paraissait tellement absurde, si je n’avais pas eu de quoi rêver et inventer, si je n’avais pas eu l’objectif très précoce de faire de l’art, je me serais tiré une balle… Je crois que j’ai choisi ce métier pour pallier l’absurdité de l’existence.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Faire entendre un texte, utiliser les mots comme une matière vivante, être face à un public. Et puis les acteurs, évidemment ! Je suis vraiment amoureux des acteurs, jepense aussi bien à Jim Carrey qu’à Alain Cuny ou Jeanne Balibar… Ce sont lescomédiens qui m’ont donné envie de jouer ! J’écris également beaucoup, mais je crois que je n’ai pas encore « LE » projet qui me ferait passer à la mise en scène… Ça viendra !
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Il y a le spectacle du collège, à Pessac. J’écrivais des sketchs pour mes camarades, je chantais, je jouais du piano, c’était la première extase sur une scène, comme la première prise dont on cherche éternellement à retrouver les sensations… Et puis ma première pièce professionnelle, à quatorze ans : Cheptel de Michel Schweizer. Pour moi, le théâtre, c’était ce que je voyais sur internet : le boulevard ou la tragédie, Jacqueline Maillan ou Maria Casarès. Avec Michel j’ai découvert qu’il y avait autre chose. Il m’a appris à ne plus jouer, et ça, c’est un enseignement extraordinaire, tout déconstruire pour mieux savourer la recherche.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Mon idole, dès l’âge de douze ans, c’était Michel Fau ! Je n’ai raté aucun de ses spectacles depuis, il est pour moi dans la lignée de comédiens comme Jean Le Poulain ou Robert Hirsch, c’est un interprète de génie et un vrai amoureux du théâtre… Parmi les plus belles choses que j’ai vues, il y a son Tartuffe avec Michel Bouquet, mais aussi la dernière mise en scène de Claude Régy, Rêve et folie, Fanny Ardant lisant Marguerite Duras, Jean-Louis Trintignant qui dit Gaston Miron ou Anne Delbée en solo dans L’Aiglon d’Edmond Rostand.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Il y a ma rencontre avec l’œuvre de Rimbaud que j’ai côtoyée pendant plus d’un an pour le solo Rimb conçu par François Stemmer. J’ai passé des mois à apprendre l’intégralité de son œuvre (la prose, les vers, la correspondance), ça m’a rendu un peu fou, mais j’ai rencontré un frère, un compagnon de vie dont les mots ne peuvent plus me quitter. Au travail, je pense tout de suite à Yves-Noël [désormais Marie-Noëlle—ndlr] Genod. Il m’a fait comprendre que l’on pouvait fabriquer du sublime avec du vide. Il a conçu pour Raphaëlle Rousseau et moi un duo qui s’appelait Ainsi parlait Kâmasûtra. J’y prenais l’accent arabe de mon père, Raphaëlle était habillée en hôtesse de l’air, on fumait, il y avait une dictée cochonne et des projections de films porno gay de Cadinot… C’était complètement aberrant, ça aurait pu paraitre débile, mais il nous dirigeait avec une précision, avec l’exigence du sacré. Il m’a dit des choses qui ont résonné bien plus tard. C’est une sorte de magicien, il fait apparaître des choses dans un interstice entre l’immobile et le chaos. Il disait par exemple : « Je voudrais que le final soit une steppe africaine, que vous deveniez tout petits et que le paysage s’étende au-delà des murs », et hop, quelque chose advenait !
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je crois que je n’ai pas encore trouvé d’équilibre ! Ma vie est mon métier, et inversement, tout y est dédié… J’ai arrêté la fac de philo au bout de trois mois pour m’y consacrer, ma vie sentimentale est un chaos, et quand je passe plus de deux jours à rien faire, je n’ai qu’une seule envie, c’est de repartir en tournée ! C’est une boulimie, pas un équilibre, pour l’instant…
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les monstres, les créatures que l’on croise par hasard, les personnalités hors normes qui ont toujours des histoires étranges, des parcours de vie à partager. Ces gens sur qui on voudrait faire des documentaires… Sinon, ma génération pour son nihilisme, et puis mes grand-mères, évidemment, pour la résilience et le raffinement !
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Primaire, je dirais, et intimement lié au désir et à la curiosité. Je n’ai aucune formation et je crois que ça m’offre une grande liberté dans mes choix, tout en créant une nécessité à ne faire qu’expérimenter des choses nouvelles… Je n’accepte les projets que quand je sais que je vais être déplacé, que l’on me demandera de faire quelque chose que je ne sais pas encore faire. Ça a été le cas avec le plein air, avec Gianni-Grégory Fornet et sa pièce sur Kurt Cobain, par exemple, ou le théâtre en appartement. J’aime me balader dans des univers antagonistes, très différents, et donc me risquer un peu… Je suis très heureux d’entamer une collaboration avec Olivia Grandville autour de Yves Klein parce que je n’ai encore jamais dansé, et puis l’an prochain ce sera un Shakespeare !
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Ça va peut-être faire rire, mais j’ai envie de dire le sexe… Cette chaleur au bas du ventre lorsque l’on ressent intensément ce qui est dit sur une scène, le passage de l’énergie par les cavités… C’est Novarina qui dit que pour être acteur il faut bander comme un taureau avec un sexe de femme !
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Tellement ! Au théâtre, je pense immédiatement à Jonathan Capdevielle, à Sophie Perez et à Jérôme Deschamps ou à des maîtres comme Warlikowski ou Castellucci. Au cinéma, j’aime les esthétiques marquées comme celles de Bruno Dumont, Gaspar Noé, Alain Guiraudie, Claire Denis, Guillaume Nicloux ou même Lars von Trier ! Mais je tiens beaucoup à la pluridisciplinarité, à collaborer avec d’autres champs, là où tout est à défricher, je pense à Sophie Calle, Théo Mercier, Pascal Rambert, Arielle Dombasle, Thomas Lévy-Lasne ou Brigitte Fontaine…
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
La Reine morte de Montherlant avec Jean Pierre Léaud, ce serait dingue !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Quelque chose comme une performance dans un squat dont on parlerait encore mais que tout le monde aurait raté… On aurait pu l’appeler « Pas besoin d’avoir un chien pour acheter une laisse » ou « Les toilettes étaient sales, mais l’ambiance était chaude » !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Plutôt vomir que faillir de Rébecca Chaillon
vu en février 2023 au Festival Everybody du Carreau du Temple
durée 1h30
Reprise du 9 au 10 février 2024 au Théâtre de Gennevilliers
Mise en scène de Rébecca Chaillon assistée de Jojo Armaing
Écritures – Rébecca Chaillon et les acteurices
Avec Chara Afouhouye, Zakary Bairi, Mélodie Lauret et Anthony Martine
Dramaturgie et collaboration à la mise en scène – Céline Champinot
Scénographie – Shehrazad Dermé
Création sonore – Élisa Monteil
Création lumière et régie générale – Suzanne Péchenart
Création dispositif réseau-vidéo – Arnaud Troalic
Régie lumière – Myriam Bertin
Régie son – Jenny Charreton
Régie plateau – Marianne Joffre
Paroles et composition des chansons «Tout mon sang» «Et si je l’étais ?» «Poil» et «Putréfaction» – Mélodie Lauret