Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir comédienne, autrice et metteuse en scène ?
Françoise Dô : Par hasard. J’ai grandi à La Martinique, à la campagne au pied de la Montagne Pelé. Dans mon monde, le bruit venait des livres, avec ses lettres silencieuses qui montaient à la tête pour y créer tout un univers. Je n’avais pas accès au théâtre et d’ailleurs ce n’était pas une question. Jeune adulte, je suis arrivée dans la ville de Fort-de-France pour mes études scientifiques et, par le hasard d’une affiche, j’ai commencé un stage d’acting. J’ai découvert le cinéma de l’intérieur et ensuite, sûrement avec une forme de désinvolture doublée d’une grande confiance en Google, j’ai cherché la meilleure formation pour le cinéma. La réponse se trouve dans les cours Florent, selon les premières lignes du moteur de recherche. Je me suis inscrite à un stage d’accès. Qu’elle ne fut pas ma surprise, en arrivant avenue Jean Jaurès, devant l’absence de caméra ! Mais bon, les citadins ont des fois de bizarres lubies. Quelle ne fut pas ma surprise quand on m’a expliqué la différence entre comédienne et actrice ! Déception. Toutefois, j’avais déjà payé sans le savoir pour le rêve de ma vie. J’ai découvert le théâtre, les planches, les lumières. Les différents mondes passeraient désormais des lettres à ma tête pour revenir à la réalité de la scène vivante. J’ai suivi les trois ans de formation.
Pourquoi le théâtre, plus que le cinéma qui était votre première aspiration ?
Françoise Dô : Le vivant, je dirais. La première pièce que j’ai vue, c’était Au moins j’aurais laissé un beau cadavre de Vincent Macaigne. J’étais au premier rang, je ne saisissais pas pourquoi, il y avait des bâches protectrices. Dès les premières minutes, j’ai compris leur intérêt. Ces éclats d’eau boueuse m’ont jeté aux yeux ce qui était possible en termes de dynamique, en termes de corps et peut-être aussi d’irrationalité. Puis il y a aussi le rapport aux livres. J’ai l’impression qu’au théâtre, il y a une temporalité plus proche de celle de la littérature. Tout se déroule d’un trait. L’écrit reste quelque chose d’essentiel pour moi. J’ai trouvé au théâtre un endroit où je peux combiner un peu tout ce qui me constitue, les mots, le jeu et la mise en espace.
Comment est né le projet, Reine Pokou ?
Françoise Dô : d’une rencontre avec la metteuse en scène Stéphanie Loïk. J’ai découvert son travail en allant voir Tchernobyl forever, son adaptation du Carnet de voyage en enfer d’Alain-Gilles Bastide. J’ai tout de suite été saisie par sa radicalité et son esthétisme. Cela m’a ouvert de nouvelles perspectives, de nouvelles autorisations à casser des codes, de nouvelles manières d’appréhender la scène où la langue reprend toute sa place. Je suis alors devenu son compagnon à la mise en scène. Mon projet de compagnonnage visait des histoires de femmes, mais je n’avais pas encore trouvé ce que je cherchais. Pour m’aider et me permettre d’élargir mon regard, elle m’a envoyé pas moins d’une vingtaine de pièces de théâtre et romans. Le 21e a été le bon. C’était Reine Pokou, concerto pour un sacrifice de Véronique Tadjo. J’ai été stupéfaite par son histoire, et surtout sa volonté d’accéder à des postes de pouvoir et de responsabilité, là où cela lui était interdit. Pourtant bien qu’elle ait su montrer ses qualités de fine stratège militaire et de politicienne aiguisée, et même su obtenir l’approbation du peuple, la question de l’enflement de son ventre était perpétuel jusqu’à ce que, de façon ultime, les dieux exigent d’elle qu’elle sacrifie son enfant unique et longuement attendu. « Attendu », et pas « désiré », car il existe plusieurs versions de l’histoire, plusieurs points de vue sur elle qui disent qu’elle ne l’aurait pas voulu, ni même enfanté de son propre ventre d’ailleurs. Déjà à l’époque, on surveillait de près jusqu’à d’où sort son enfant. La demande de ce Dieu est pour sauver son peuple en fuite. On connaît bien ce type d’histoires sauf qu’ici, aucune clémence de dernière minute. C’est toujours aux femmes que l’on demande les abnégations, sur leur chemin de la réussite ; contrairement à d’autres, elles ne rencontrent que peu d’indulgence. J’ai trouvé qu’au-delà de l’aspect historique et mythique, qui m’attirait, il y avait aussi cette dimension très contemporaine de la place de la femme, celle qui veut participer à la gestion de cité dans les hautes sphères, qui m’a séduite. Par ailleurs, on ne peut pas passer à la trappe qu’il s’agit d’une figure très connue de l’Afrique subsaharienne. Ce n’est pas un choix anodin que de valoriser l’histoire d’une femme noire puissante en mettant au plateau cette tragédie. Ce biopic a traversé les siècles par l’intermédiaire de la bouche de griots, c’est la force de l’histoire non écrite. Il faut le rappeler, et pour ça aussi, le théâtre est nécessaire.
Comment avez-vous adapté son histoire pour la porter au plateau ?
Françoise Dô : Je suis passé par plusieurs étapes. Déjà, j’ai choisi de ne prendre du roman que les aspects historiques. Je me suis ensuite intéressée à l’art du conte à la façon des griots. Revenir à une oralité, tout en étant partie d’un écrit. J’ai effectué des résidences en Côte d’Ivoire et je suis revenu avec un certain code de la narration comme les mantras griotiques relatant la lignée des personnages. Dans le même temps, à la manière des grandes tragédies grecques, j’ai posé sur scène un chœur et un coryphée. Il était primordial pour moi que le chant, le corps et la voix soient très présents au plateau. J’ai donc opté pour une esthétique radicale où les mots et les présences des interprètes se suffisent à eux-mêmes pour habiter le plateau.
L’histoire de cette Reine africaine ayant vécu aux XVIIe siècle fait-il écho au temps présent ?
Françoise Dô : Oui. J’ai toujours l’impression que l’on demande toujours aux femmes qui veulent déployer leurs talents, d’abandonner l’idée même de maternité. Suite à une naissance, la méfiance et le doute se révèlent permanents. On peut prendre l’épineux exemple récent de la navigatrice Clarisse Crémer. Quel que soit le succès, dans quelque discipline que ce soit, la question revient, balayant tout sur son passage. Le corps de la femme questionne, comme s’il appartenait à tout le monde, vidant l’individu de sa substance. Encore aujourd’hui il peut appartenir au peuple tout entier quand on lui demande le réarmement démographique.
Votre spectacle est tout public, c’était une volonté de votre part ?
Françoise Dô : Oui, j’ai voulu que le spectacle soit accessible dès neuf ans, car déjà en Côte-d’Ivoire, l’histoire de Pokou est racontée à tous ainsi qu’aux plus petits. Il y a dedans plus qu’une histoire mais la présentation de ce que, de l’enfance à l’âge adulte, une femme peut traverser. Il y a évidemment plusieurs degrés de lecture. La scène n’est ciselée que par les lumières, le public peut y amener toute son imagination. Je me suis faite lettre pour raconter l’histoire d’une petite fille à qui on a prédit une grande destinée.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Reine Pokou d’après le roman Reine Pokou, concerto pour un sacrifice de Véronique Tadjo
paru aux Éditions Actes Sud
À partir de 9 ans
Comédie de Saint-Étienne
Place Jean Dasté
42000 Saint-Étienne
Jusqu’au 31 janvier 2024
Durée 1h
Tournée
16 février 2024 à l’Institut Français de Côte d’Ivoire
29 février et 1er mars 2024 aux Tropiques Atrium – Scène nationale de Martinique
Texte et mise en scène de Françoise Dô
Avec Alvie Bitemo, Yasmine NDong*, Rita Ravier
Assistante à la mise en scène – Aurore James
Conseiller dramaturgique à la chorégraphie – Abdoulaye Trésor Konaté
Création lumière :-Cyril Mulon
Création sonore – MawonganY
Costumes d’Ouria Dahmani-Khouhli
* issue de L’École de la Comédie