Connaissez-vous StarGate, cette expérience mystique de la CIA lancée en 1978, puis interrompue et déclassifiée en 1995 ? L’idée est aussi ténue que folle, nourrie de théories new age et restée à la marge des opérations menées à l’époque par la CIA. Elle consiste à voyager avec l’esprit, par projection astrale, beaucoup pour tenter d’espionner les Soviétiques (on est en pleine guerre froide), mais aussi, un matin de mai 1984, pour essayer de voir à quoi ressemblait la vie sur Mars il y a un million d’années.
Rien de moins dramatique qu’un homme allongé sur une chaise médicale pendant qu’un autre tapote machinalement sur sa machine à écrire ; rien de moins théâtral, sur le papier, que la retranscription utilitaire d’une expérience de la CIA, quoiqu’il s’agisse déjà, en l’espèce, d’un dialogue. Mais parce qu’elle délimite le terrain d’un théâtre à activer, cette matière brute est toute à prendre pour le dramaturge et créateur lumière Victor Inisan, qui signe là sa première mise en scène avec sa compagnie Ultracomète.
Sur scène, l’expérience est déroulée à la lettre, reprenant mot pour mot la retranscription du 22 mai 1984, aujourd’hui disponible sur l’immense base de données en ligne de l’agence de renseignement. D’un côté, Joseph McMoneagle (Renaud Triffault), vétéran de l’armée américaine, qui a mené une grande partie de ces voyages médiumniques. De l’autre, un agent de la CIA (Frode Bjørnstad) qui fait le guide, délivrant les coordonnées géographiques et les dates ciblées. La voix guide : un peu à l’est, davantage au nord, en arrière dans le temps…
Hallucination collective
En entendant le texte, on se dit finalement qu’il y avait là de l’or pour le théâtre. Si tant est que le théâtre sache en faire quelque chose. C’est le cas ici. Ce n’est pas tant pour des raisons pédagogiques que cette anomalie de l’histoire militaire américaine est sollicitée. Pas non plus pour le bénéfice d’une garantie « faits réels » en tampon sur l’univers de science-fiction, mais pour ce que la relative sécheresse de l’archive peut libérer de visions, avec la mise en scène pour révélateur alchimique.
Face à un appareillage analogique (magnétophone à bandes, projecteur de diapositives), Mars Exploration est un espace indéfini (techniquement, chronologiquement). Celui où évolue le médium sous hypnose, qui s’active peu à peu à mesure que la parole opère un détachement progressif vers la fiction pure. Il fallait une précision et un engagement certains pour donner vie à ce qui advient alors, cette hallucination progressive et évolutive de sensations visuelles et sonores où les visions prennent vie dans toute leur indétermination.
C’est une SF allusive mais épaisse, texturée qui se dessine ainsi, dans laquelle le mystère est protégé, jamais brusqué ou surexposé. S’ouvre, au gré de ce soin, un espace cosmique enveloppant ensemble acteurs et public, où l’on ne sait plus si le voyant, sur scène, hallucine des extraterrestre ou s’il nous hallucine, nous, spectateurs. À moins que ce ne soit nous qui soyons en train de rêver cette humanité toute tendue vers l’invisible.
Samuel Gleyze-Esteban
Mars Exploration de Victor Inisan
Plateaux Sauvages
5 rue des Platrières 75020 Paris
Du 11 au 19 janvier 2024
Durée 1h
D’après une archive du projet StarGate
Mise en scène et création lumière Victor Inisan
Dramaturgie Nina Ayachi, Icare Bamba, Pascaline Défontaines et Victor Inisan
Scénographie Clémence Mars
Création musicale Samuel Chabert
Vidéo Patryk Kaplita
Collaboration technique Ornella Lukac et Clarisse Sebilo
Avec Frode Bjørnstad et Renaud Triffault