Cécile Givernet et Vincent Munsch ont créé un spectacle de toute beauté autour du texte de Mathieu Bertholet, Farben (couleurs en allemand), qui en 124 courtes scènes, « expose la biographie fragmentaire de Clara Immerwahr, première femme chimiste allemande, épouse de Fritz Haber », qui jusqu’au bout demeura fidèle à ses convictions.
Une arme de destruction massive
Fritz Haber est un scientifique qui reçut le prix Nobel de chimie en 1918, pour avoir réalisé « la synthèse de l’ammoniaque à partir de diazote et de d’hydrogène. » Une récompense controversée, car si ses recherches ont permis de développer les engrais artificiels, elles ont surtout servi à créer la première arme chimique. Il est le père de ces gaz chlorés que les Allemands lancèrent à partir de 1915 sur les tranchées françaises, lors de la Première Guerre mondiale.
Si en 1915, Fritz célèbre la reconnaissance de ses pairs, il en est tout autre pour sa femme, Clara. Ces « Curie » allemands ne partagent pas la vision de la science. Pour elle, celle-ci est signe de progrès et elle doit servir l’humanité et la détruire. Pour lui, « un savant appartient au monde en temps de paix et à son pays en temps de guerre ».
Croire en son rêve
L’héroïne de ce spectacle est Clara dont on va suivre le parcours. Comme bien de ses consœurs de l’époque, la société patriarcale aimerait bien qu’elle demeure à la place qui lui est assignée, c’est-à-dire le foyer. Mais pas elle. La jeune fille préfère étudier la chimie. Brillante, elle sera la première femme à obtenir un doctorat en la matière à l’université de Breslau. Quand elle épouse Haber, elle espère mener étroitement avec lui, tel le couple Joliot-Curie leurs recherches. Elle en fut réduite à traduire ses publications et à demeurer dans l’ombre.
Tout comme la physicienne Lise Meitner, dont Élisabeth Bouchaud avait retracé l’histoire dans Exil intérieur, Clara appartient à ces nombreuses savantes qui ont été privées de reconnaissance et de récompense. Ces chercheuses qui ont vu leur gloire spoliée par la gent masculine ! Ces femmes qui ne cherchaient pas à détruire mais à améliorer le monde. Le jour de sa soutenance, Clara a fait le serment de ne « jamais agir de manière contrainte à ses convictions ». Elle s’y tiendra et en mourra !
Des images superbes
Le travail de la Cie Espace blanc est de toute beauté. L’art de la marionnette permet de proposer une lecture qui se situe entre le concret et l’imaginaire, de dire poétiquement les sous-textes. Ici, les marionnettes ont toutes les tailles et les formes. Pour Clara et Fritz, elles sont figuratives et petites, manipulées par les épatants Honorine Lefetz et Brice Coupey qui par instants deviennent les personnages. Cécile Givernet et Blue Montagne font exister les autres personnages, représentés par des têtes sculptées. La métaphore du masque à gaz est impressionnante. La magnifique, scénographie, nous promène, sans que l’on se perde dans les divers lieux. Il ne faudrait pas oublier l’ambiance sonore qui apporte beaucoup. Très vite, nous sommes captivés par le récit et par ce que l’on nous montre. Du bel ouvrage !
Marie-Céline Nivière
Farben d’après le texte de Mathieu Bertholet (éd. Actes Sud-Papier)
Le Mouffetard, centre national de la marionnette
73 rue Mouffetard
75005 Paris.
Du 17 au 27 janvier 2024.
Durée 1h30.
Tournée 2024
1er et 2 février à Fontenay-en-Scènes – Fontenay-sous-bois (94).
11 mars 2024, dans le cadre du Festival MARTO, au Théâtre Jean Arp – Clamart (92).
Mise en scène de Cécile Givernet et Vincent Munsch.
Avec Brice Coupey, Cécile Givernet, Honorine Lefetz et Blue Montagne.
Scénographie de Jane Joyet.
Marionnettes d’Amélie Madeline.
Costumes de Séverine Thiébault.
Construction décor d’Esat Plaisir, Jane Joyet, Vincent Munsch et Corentin Praud.
Lumières de Corentin Praud.
Régie son de Kostia Cavalié.
