Elsa a sept ans quand sa mère et elle emménagent dans leur nouvel appartement. S’adaptant bon an mal an à cet environnement qui n’a rien de chaleureux – des cloques d’un ancien dégât des eaux maculent le plafond blanc du salon – , la fillette, sans faire de bruit, sans déranger sa génitrice un brin dépressive, tente de se fabriquer un nid, un cocon à elle.
Du père, il n’en est jamais question. Sa vie d’enfant très solitaire se résume à la relation ambiguë qu’elle entretient avec sa mère. Derrière les meubles de bric et de broc et des travaux de rafraîchissement à la marge, l’image d’Épinal de cette famille monoparentale banale s’effrite. Loin d’être normal, l’amour maternel est étouffant, phagocytant. L’amour filial, une longue litanie pour s’émanciper et trouver enfin l’oxygène nécessaire pour survivre loin de la cellule domestique.
Des mots aux gestes
Adaptant au plateau avec la collaboration de la circassienne Justine Berthillot, son premier et fulgurant roman, tout juste auréolé du prix Goncourt 2023 dans la catégorie Premier roman, Pauline Peyrade donne à voir et à entendre la lente et inexorable destruction d’un lien mère-fille qui est loin de tout stéréotype. Prenant de la distance avec l’écrit en se détachant des mots, les deux artistes cherchent à travers le mouvement des corps et une parole diffuse – seules quelques pages sont lues afin de donner aux spectateurs quelques repères – à en faire ressentir toutes les violences sourdes, les brutalités ouatées. Face à cette mère toxique, qui incapable de vivre seule, fait peser sur son enfant tout le poids de l’échec de son existence, la fille, bien qu’impassible en apparence, nourrit au creux de son sein une rage contenue qui ne demande qu’à exploser en un geste dévastateur.
Fragile, bancal, le spectacle tâtonne. Il n’est en rien évident, sa lecture n’est pas immédiate. Il s’insinue lentement dans le corps, dépose par couches ses sédiments et demande une écoute et une attention des plus exigeantes. À trop vouloir s’éloigner de son texte, multipliant les ellipses, Pauline Peyrade perd en substance littéraire ce qu’elle gagne un peu en corporalité grâce au travail très physique et habité de Justine Berthillot et à l’ambiance sonore enveloppante imaginée par Guillaume Léglise.
Présentée dans le cadre du Festival Les Inspirantes, des Quinconces et l’Espal – Scène nationale de Mans, L’Âge de détruire ne demande, comme son héroïne, à grandir, à trouver sa voie pour enfin être l’uppercut que les deux artistes appellent au plateau de tous leurs vœux.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial au Mans
L’âge de détruire d’après le roman éponyme de Pauline Peyrade
Paru aux Éditions de Minuit en 2023
Festival les Inspirantes
Les Quinconces
4 place des Jacobins
72000 Le Mans
Jusqu’au 17 janvier 2024
Tournée
11 au 23 mars 2024 au Théâtre Ouvert – Centre National des Dramaturgies Contemporaines, Paris
15 et 16 mai 2024 à la Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace
Mise en scène et adaptation de Justine Berthillot et Pauline Peyrade
Avec Justine Berthillot et Pauline Peyrade
Chorégraphie de Justine Berthillot
Collaboration à la scénographie – James Brandily
Création et régie son de Guillaume Léglise
Collaborateurs artistiques de Rémy Barché, Mosi Espinoza & Esse Vanderbruggen
Création lumière et régie générale – Aby Mathieu