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Au but, Dominique Valadié en monstre sacré

Dans Au But de Thomas Bernhard, Dominique Valadié illumine magistralement la scène du Poche Montparnasse

Les mots brûlent, acides, rugueux. Ils rompent l’harmonie cossue de l’intérieur Art déco du magnifique appartement où trône en majesté un monstre-femme, une mère sadique, un être désabusé qui vomit le monde qui l’entoure. Sous la direction de Christophe Perton, l’impériale Valadié s’approprie l’interminable monologue de Thomas Bernhard lui donnant couleur âpre et ton cruel. Époustouflant !

Entièrement habillée de bois vernis aux teintes rouges nobles, la petite salle du Poche-Montparnasse a des allures de suite fastueuse d’un appartement luxueux de quelques grandes villes du Nord de L’Europe. Sur une sorte de banquette, une femme immobile (incandescente Dominique Valadié), le regard perdu dans le lointain attend. Royale, elle s’impatiente. Il semble que quelque chose, la contrarie, un grain de sable est venu enrayer son univers bourgeois. D’une voix douce, presque monocorde, qu’elle module comme un étonnant et singulier instrument de musique, elle apostrophe son invisible compagne.

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En une diatribe acide, faite de miel et de fiel, elle rumine la terrible soirée théâtrale qu’elle vient de passer égratignant l’auteur, les comédiens et le public. Se parlant autant à elle-même qu’à sa fille (fade et espiègle Léna Bréban) qui s’agite derrière les tentures pour préparer les malles de son auguste mère pour leur villégiature estivale, elle égratigne l’art nouveau, le talent du dramaturge (enthousiaste Yannick Morzelle) de la pièce Sauve qui peut et cette façon qu’ont les gens de s’extasier sur la dénonciation putride de leurs comportements les plus vils.

Désabusée, capricieuse, elle déblatère toute sa haine du monde qui l’entoure, toute sa détestation de sa propre existence. Âme noire, esseulée, elle terrorise et persécute son unique enfant, cette fille qu’elle aime si mal. Véritable souffre-douleur, cette dernière sert avec dévotion et douceur son odieuse génitrice sans oser lui répondre. Malgré tout, une étonnante complicité unit ces deux femmes, qui va les amener dans un moment d’égarement à inviter le jeune auteur, à séjourner quelques jours dans leur villa des bords de mer et à rompre la monotonie de leur huis clos féminin et fusionnel.

De sa plume acérée, Thomas Bernhard esquisse le portrait flamboyant et ténébreux d’un monstre-femme et de la société bourgeoise, très fin de race, qui l’entoure. Sans sombrer dans le pathos, il dépeint un monde en perdition qui tente tant bien que mal de faire bonne figure, cachant dans l’ombre leurs honteuses actions. Utilisant le théâtre comme un outil puissant et dévastateur, il nous entraîne dans un torrent quasi-ininterrompu de phrases assassines, d’assertions sibyllines à l’ironie brûlante qui nous saisit, nous malmène. Objet et sujet de sa propre pièce, il diffuse dans chacun de ses personnages en peu de lui-même. Malheureusement, il dilue dans un final trop long et moins abouti sa singulière et mordante satire.

Troublé par l’implacable mise en scène de Christophe Perton qui souligne magistralement l’humour noir de la pièce et ses aspérités rugueuses, troublantes, le public se retrouve souvent désarçonné en proie à un certain malaise. Mais ce long et vénéneux monologue ne nous tiendrait pas autant en haleine, s’il n’était pas porté par une comédienne extraordinaire. En confiant le rôle de cette terrible harpie à Dominique Valadié, Christophe Perton fait mouche. Elle est tout simplement divine. Jouant de tous les registres du théâtre, elle donne vie à cette affreuse et sadique mégère et, par touches délicates, dévoile la femme blessée derrière le masque de la morgue bourgeoise. Majestueuse, la comédienne irradie la scène, avec finesse et malice, nous faisant oubliant l’atmosphère suffocante et surchauffée de la salle. Léna Bréban, réduit au rôle quasi-muet de cette enfant sacrifiée sur l’autel de l’égoïsme maternel, est parfaite d’ingéniosité malicieuse. Enfin, Yannick Morzelle s’en sort avec les honneurs malgré une partition difficile tant son personnage manque d’étoffe totalement phagocyté par celui terriblement prégnant de la mère.

Olivier Frégaville-Gratian d’Amore


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Au but de Thomas Bernhard
Théâtre de Poche-Montparnasse
Boulevard du Montparnasse
75006 Paris
jusqu’au 05 novembre 2017
du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 15h
Durée 2h00 environ

texte traduit par Claude Porcell
mise en scène de Christophe Perton assisté de Camille Melvil
avec Dominique Valadié, Léna Bréban, Yannick Morzelle et Manuela Beltran
Scénographie de Christophe Perton et de Barbara Creutz assistés de Clarisse Delile
création lumières d’Anne Vaglio
création son d’Emmanuel Jessua
création costumes de Samuel Theis

Crédit photos © Scène & Cités

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